L’HUILE ET LE VIN UN COMMERCE SOUS TRÈS HAUTE SURVEILLANCE
L’exemple d’Aix-en-Provence au XVIIe siècle
ARTICLE
Les Lettres Patentes des XIIe et XIIIe siècles interdisent l’importation dans la ville des raisins et des olives produits par les communautés voisines. Par cette mesure protectionniste, les producteurs locaux étaient assurés découler la totalité de leurs marchandises dans la ville, ce qui pousse dans le terroir doit être consommé de préférence au même produit cultivé par les villages alentour.
Les vignes sont protégées des déprédateurs, des dommages causés par les animaux, des passants et des chasseurs. Les oliviers sont protégés de la dent des chèvres et des moutons.
Les ceps de vigne et les oliviers étant protégés, il convient encore de mettre les récoltes elles-mêmes à l’abri de la convoitise. Ainsi, afin d’éviter que les vendangeurs et les « olivaires » emportent du raisin ou des olives, conformément à l’article XXXIX du règlement de police établi en 1569, ils ne peuvent être munis de paniers ou de poches, sous peine de fouet. Lorsque les vendanges sont terminées, lorsque les olives ont été ramassées, les habitants qui le souhaitent peuvent se livrer au « rapugar », c’est-à-dire ramasser les fruits oubliés ou qui n’étaient pas à maturité au moment de la récolte. Encore faut-il qu’ils soient pourvus d’une autorisation, sinon ils commettraient un vol.
Destinées à préserver les cultures, ces mesures n’ont d’intérêt que si elles sont accompagnées de dispositions veillant à leur bonne application. Pour cela, des gardes sont installés dans le terroir ou aux portes de la ville. Pour stimuler leur vigilance, ils conservent la moitié des amendes prononcées sur leur dénonciation et un quart des produits confisqués.
La protection des arbres et des cultures n’a qu’un objectif : faire en sorte que les producteurs locaux obtiennent des récoltes telles que leur patrimoine soit préservé, d’où l’établissement de mesures particulières telle l’organisation des récoltes avec la date des vendanges et leur mise sur le marché.
Les consommateurs sont protégés par l’interdiction des monopoles. Sont considérés comme « monopoleurs » les hôtes, cabaretiers, aubergistes… Il leur est interdit de faire du vin eux-mêmes afin de ne pas déséquilibrer le marché et leur éviter la tentation de vendre leur production moins chère. Il leur est aussi interdit d’acheter de grandes quantités de vin ou de raisins, causant un tort considérable aux propriétaires qui ne peuvent écouler leur production tout au long de l’année.
Le problème se pose en d’autres termes pour les olives. Il faut attendre 1680, semble-t-il, pour que les dirigeants prennent conscience, à la suite des difficultés rencontrées pour protéger la ville des raisins étrangers, de la nécessité de limiter de la même façon l’entrée des olives étrangères. Mais une autre idée préside alors à ce souci de protection : l’huile d’Aix est de très bonne qualité « et en si grande estime en France » que les habitants en « retirent un prix honnête » or, l’huile produite par les olives étrangères étant moins bonne, elle nuit à l’image de marque de l’huile locale. Les conseillers plaquent donc sur les olives la réglementation en vigueur pour les raisins : désormais, il est interdit à toutes personnes de quelque condition et qualité qu’elles soient, de faire entrer dans la ville des olives étrangères pour les faire détriter. De même, il est désormais interdit aux maîtres des moulins de la ville de recevoir ces olives.
L’objet de ces mesures protectionnistes est la sauvegarde de la production locale, encore faut-il qu’elle soit suffisante pour assurer un approvisionnement constant de la ville. Lorsque le vin vient à manquer, donc chaque fois que les récoltes sont mauvaises, les consuls permettent l’importation de vin étranger. Bien entendu, en échange de cette liberté, une imposition est instaurée sur chaque millerolle qui passe les portes de la ville. Dès que la production aura retrouvé son niveau normal, l’importation sera à nouveau interdite, même si cela supprime une importante ressource pour la communauté, car ici l’intérêt supérieur n’est pas financier, il est de ne pas « faire souffrir beaucoup de bonnes maisons ».
Il ressort de l’étude du commerce du vin à Aix-en-Provence au XVIIe siècle que les périodes de protection et d’ouverture alternent constamment. Lors de l’ouverture du marché, la ville perçoit une imposition, laquelle est parfois jugée trop lourde par les conseillers, la jugeant trop lourde à porter pour les pauvres.
En fait, les consuls doivent faire cohabiter deux intérêts opposés : celui des producteurs qui est de vendre leur vin au meilleur prix, celui des consommateurs qui ne doivent pas payer le pot au-delà d’un certain prix. Maintenir ce précaire équilibre est une tâche complexe.
Les mesures protectionnistes mises en place au XIIIe siècle sont un succès si l’on considère que la communauté n’a pas besoin de recourir au vin étranger, mais aussi un échec si l’on se souvient qu’elles avaient pour objectif de protéger le petit nombre de propriétaires qui exploitait dans les environs proches des murs de la ville. Ces derniers, en partageant le marché avec d’autres Aixois, ont perdu leur quasi-monopole. Mais est-ce vraiment un dommage ? Sûrement pas puisqu’il semble bien que la totalité de la production soit absorbée par les habitants de la ville. Il faut donc conclure que ces mesures ont été bénéfiques à la fois aux producteurs anciens, aux nouveaux et aux consommateurs qui ne paient pas l’imposition qui frappait les vins étrangers.
Par contre, le problème est différent si l’on considère les finances de la ville, car il est clair, à la fin du XVIIe siècle, qu’elle est la grande perdante et les chiffres sont là pour prouver qu’elle doit récupérer sur d’autres denrées ce qu’elle a perdu sur le vin.