UN ASPECT DE LA FISCALITÉ COMMUNALE AU XVIIe SIÈCLE
LA REVE DU POISSON À AIX-EN-PROVENCE
ARTICLE
Le recouvrement des impôts indirects est généralement affermé. La communauté confie à un particulier le soin de percevoir l’impôt auprès du consommateur. La rémunération du fermier étant comprise dans le prix de vente du produit, afin d’éviter tout dérapage, la ville impose un plafond : si le prix de revient est inférieur le fermier est gagnant, s’il est supérieur il est perdant. Le régime juridique de l’affermage provençal ressemble à une concession de service public : l’adjudicataire le fait fonctionner à ses risques et périls. Techniquement, ce procédé a le double avantage de décharger les élus de la perception de l’impôt et de faire tomber dans la bourse du trésorier d’importantes sommes d’argent, à périodes fixes. Les rèves ont pour assiette les denrées consommées dans la ville.
En temps normal, les fermes sont concédées pour un seul produit : le titulaire de la ferme du poisson ne perçoit l’imposition que sur le poisson, système qui procure de bons résultats sauf si des circonstances particulières imposent le recours à la ferme générale comme c’est le cas de 1607/1608 à 1615/1616. La situation financière de la ville contraint les dirigeants à accepter l’offre présentée par un Aixois : il réglera l’ensemble des dettes de communauté, soit 249.000 livres, à condition que l’ensemble des fermes lui soit concédé pour 8 ans. Les conseillers adoptent cette solution qui pour un temps au moins leur épargnera le souci de rechercher des fermiers et le risque de voir leurs biens saisis.
Au fil du temps, le principe selon lequel les Aixois décident librement de leur fiscalité indirecte s’émousse pour tolérer une certaine participation des Cours souveraines, intrusion d’autant mieux tolérée que les difficultés financières à la fin du XVIIe siècle ont conduit à la mise en place d’une surveillance particulière. La fin de l’autonomie financière va alors de pair avec la fin de l’autonomie politique. Le principe d’égalité devant l’impôt subit lui aussi des atténuations qui ne sont explicables que si l’on s’attache à la vie municipale, le pouvoir politique des grands personnages servant souvent de couverture à des manœuvres électorales. Notamment au XVIIe siècle, la fiscalité indirecte a largement contribué au fonctionnement de la maison commune. Il est clair aujourd’hui que ce type d’impôts pèse plus lourdement sur les plus démunis car si tout le monde est obligé d’acheter du pain et donc de payer la rève sur la farine, cette dernière, par définition identique pour tout le monde, est plus dure à supporter selon que l’on est riche ou pauvre.
Selon les registres trésoraires, déjà à la fin du XVIe siècle, cette ferme est perçue régulièrement or, en 1616, plusieurs revendeurs contestent son existence. Dans les registres, il ne se trouve aucune délibération autorisant sa perception mais, selon les archives d’un particulier, depuis cinquante ans la ville recourt à cette imposition. En conséquence, s’appuyant sur la possession ancienne, pour couper court à toutes contestations ultérieures, le conseil confirme les articles concernant les enchères de l’année passée et valide la ferme pour la durée prévue
Au début du XVIIe siècle, la ferme du poisson se distingue des autres fermes par la souplesse qui préside à son organisation. On ne trouve pas ici la même attention que pour la ferme de la boucherie. Il faut attendre de longues années avant que la ferme soit véritablement organisée, que les prix soient étroitement surveillés, que les fraudes soient réprimées.
Si l’on s’en tient aux registres de délibérations, il apparaît que pendant longtemps la ferme du poisson n’a pas été la plus difficile à gérer (la palme revenant sans conteste à la boucherie), passant d’une certaine indifférence à un attrait certain.
L’impact financier de la ferme du poisson doit être abordé en deux temps : de 1597/1598 à 1637/1638, de 1638/1639 à 1692.
Lors de la première période, la ferme de la poissonnerie s’inscrit pour un faible pourcentage dans le revenu global des fermes puisqu’il oscille entre 3,12 % en 1636/1637 et 8,98 % en 1626/1627, la moyenne s’établissant à 5,94 %. Le poisson n’était sûrement pas une quantité négligeable mais peu s’en fallait puisqu’il arrivait juste avant la ferme de l’huile, qui n’était pas perçue tous les ans et retenait fort peu l’attention des gestionnaires municipaux.
Ensuite le mode de perception de la rève est modifié et la ferme du poisson joue un rôle considérable dans les finances de la communauté puisque, toujours pour le seul poste des fermes, le taux s’élève à 21,94 %.
Désormais donc, la rève sur le poisson est la troisième ressource de la communauté puisqu’elle représente un cinquième des rentrées de la fiscalité indirecte. On peut même opérer une distinction supplémentaire puisque de 1638/1639 à 1650/1651 elle s’inscrit pour 16,08 % dans le poste des fermes, mais ensuite pour 23,74 %, augmentation qui mérite d’être relevée car elle prouve que désormais cette ferme joue un rôle considérable dans l’équilibre financier, il s’en faut de peu qu’elle compte pour un quart dans ce poste essentiel des finances communales.
En matière de fiscalité, l’Ancien Régime se caractérise, à l’échelle des communautés comme à celle du royaume, par un empirisme gravement préjudiciable à l’équilibre des budgets. Les gestionnaires pouvaient apporter autant de soins qu’ils le pouvaient aux comptes de la ville, ils étaient obligatoirement confrontés à des impondérables qui les contraignaient souvent à recourir aux emprunts pour faire face aux dépenses les plus urgentes. En effet, les budgets prévisionnels n’existaient pas et comment pouvait-il en être autrement puisque les fermes notamment pouvaient varier fortement d’un bail à l’autre.