COMMUNAUX BOISÉS ET MAINTIEN DE L’INTEGRITÉ TERRITORIALE EN PROVENCE (1827 – 1900)
I – Délimitation et bornage des communaux boisés.
II – Disposition des communaux boisés.
ARTICLE
En Provence, aux XVIIe et XVIIIe siècles, parce que la crainte de la disette fait rechercher continuellement de nouvelles terres à blé, les plaines sont entièrement défrichées pour être cultivées. Quant aux forêts qui demeurent encore, elles subissent le pâturage des moutons et des chèvres, souvent en surnombre, ce qui achève de les rendre instables. L’industrie, avec ses fours à chaux, ses fours pour la distillation de l’huile de lavande, de cade et de genévrier met aussi la forêt à contribution. Enfin, la marine royale, c’est-à-dire les arsenaux de Toulon, abat les bois nécessaires aux constructions navales.
Conséquence logique de ces dégradations, au XIXe siècle, il est fréquent de trouver dans le fonds forestier des descriptions de forêts provençales qui montrent le mauvais état des communaux boisés et un autre aspect du problème ne peut être ignoré : la modification du climat avec le refroidissement de l’atmosphère et le bouleversement des saisons dus à la destruction des bois, aux défrichements imprudents des forêts.
Dans le Code forestier de 1827, parmi toutes les mesures organisant la préservation des communaux boisés, il a semblé intéressant de s’attacher au maintien de l’intégrité territoriale, la crainte du législateur étant que les communes, « qui ne voient rien au-delà de la jouissance immédiate et sont incapables de porter un regard de prévoyance sur l’avenir », soient tentées d’ignorer leurs surfaces boisées, de les partager, de les vendre, au détriment des générations futures.
La période retenue commence en 1827, date de mise en application du nouveau Code, et se termine en 1900, période suffisamment vaste pour apprécier l’application de la réglementation. L’aire géographique concernée, la Provence, comprend les Alpes de Haute-Provence, les Bouches-du-Rhône, la Drôme, le Var et le Vaucluse.
Au début du XIXe siècle un grand nombre de forêts n’avaient pas encore de limites certaines. Alors que jusqu’en 1827 ce désordre est tolérable, la mise en application du nouveau Code oblige les communes et les particuliers à faire face à de nouvelles situations. Comment définir les bois à soumettre à l’article 90 ? Comment déterminer le quart de réserve ? Comment autoriser ou refuser les défrichements ? Autant de questions qui obligent tous les propriétaires à connaître leur propriété de façon exacte. Il est évident que toutes les délimitations, qu’elles soient partielles ou générales, ne seront pas effectuées dès 1827, tant que les problèmes ne se posent pas, tout le monde se satisfait de limites incertaines mais au fil du temps, les unes après les autres, les communes éprouvent le besoin de délimiter correctement leur patrimoine forestier.
La délimitation de la forêt communale peut être partielle ou générale. Dans le premier cas, il convient de retrouver les limites de la forêt sur une portion de territoire plus ou moins grande. En cas de délimitation générale, il faut comprendre que les communaux boisés en totalité ne peuvent être retracés avec certitude.
Les demandes de limitation des propriétaires riverains répondent à deux objectifs visant à une meilleure protection. Ils peuvent s’attacher à la protection de leurs droits notamment pour éviter toutes contestations à propos de l’assiette de coupes de bois. Dans le second cas, la sécurité est le souci de demandeurs qui craignent de se voir poursuivis en cas d’empiètements involontaires.
En cas de délimitation partielle des bois communaux, la procédure est différente selon que les parties sont d’accord ou non pour mener à bien cette opération. En cas de délimitation générale, la publicité a particulièrement retenu l’attention du législateur.
Le bornage permet de délimiter exactement les forêts. Au début du XIXe siècle, il est fréquent que les communes ignorent l’étendue de leurs forêts, d’où les contestations qui surviennent dans de nombreuses circonstances. Le bornage est général lorsqu’il s’effectue sur tout le périmètre de la forêt et partiel s’il n’a lieu que sur une partie. On l’appelle judiciaire lorsqu’il est prescrit par les tribunaux à la suite d’une instance, et amiable s’il est fait du plein gré des riverains.
Le caractère des forêts communales est complexe. Mal boisées, mal situées, elles sont ressenties par les gestionnaires municipaux comme une charge, surtout si l’administration forestière les a classées parmi les forêts susceptibles d’amélioration, grevées de frais particuliers dont ceux d’un garde. Alors, les conseils municipaux sont tentés de les partager, de les aliéner, l’objectif étant de faire disparaître un poids inutile et de remplir les caisses communales. L’administration forestière fera alors en sorte que les générations futures ne soient pas dépourvues d’un bien qui appartient à tous, par-delà le temps et les difficultés immédiates. Au contraire, que les forêts communales soient bien peuplées, qu’elles soient source d’un revenu régulier et leurs administrateurs seront tentés de les aliéner afin de financer des travaux améliorant la vie des citadins. Là encore l’administration forestière devra veiller, son objectif étant de faire en sorte que les communaux boisés, enrichis par une politique de protection et d’amélioration, conservent la même surface.
La réglementation doit donc envisager plusieurs situations : l’échange, l’indivision, le partage, l’accaparement, la cession à titre gratuit, l’usurpation….
Au début du XIXe siècle, il est de règle de considérer que les biens communaux sont grevés d’une substitution perpétuelle car ils appartiennent au public, ayant été concédés par forme d’usage seulement. Dans ces conditions, il semble alors que l’aliénation doit reposer sur une cause juste, qu’elle doit profiter à tous les habitants et porter son influence sur les générations les plus reculées. Ceci pose le double problème de l’appréciation de la juste cause et de la connaissance des habitants.
Ce qui constituera une juste cause pour les habitants de la commune, désireux de posséder des fontaines, des écoles, des églises… des bâtiments qui ne s’écroulent pas, laissera indifférents les habitants les plus proches de la forêt qui ne bénéficient pas directement des améliorations citadines.
S’il est clair dans un premier temps que la volonté du plus grand nombre est de participer directement aux ressources forestières, la réglementation provoque un déplacement d’intérêt et à la fin du XIXe siècle, ce sont les citadins qui s’intéressent aux forêts, non pour les ressources qu’elles procurent directement, mais pour leur contribution aux finances municipales et si celle-ci est jugée insuffisante, pour le produit de leur vente.
Un autre mode de vie se met en place qui marque la fin d’une certaine économie de subsistance. On assiste à la disparition progressive des biens de deuxième catégorie, les forêts devenant une simple ressource municipale, c’est l’augmentation des biens patrimoniaux et la disparition lente des biens communaux.
Face à la volonté des dirigeants municipaux de se séparer de leurs forêts, l’administration forestière doit veiller avec une particulière vigilance car la transmission à des propriétaires privés risque de conduire les forêts à leur disparition, par mauvais entretien, défaut de reboisement, exploitation outrancière. Comme souvent lorsqu’on traite des communaux boisés on arrive à la conclusion que l’individu doit s’effacer devant la forêt, que le particulier laisse la place au général, que le futur a priorité sur l’immédiat. Il est indispensable de préserver un patrimoine qui appartient à tous les habitants de la commune, présents et à venir. Les générations sont successivement usufruitières. C’est une substitution perpétuelle qui doit durer autant que la commune. Donc aucune des générations qui passent n’a le droit de dénaturer son titre et de se constituer propriétaire de son autorité privée.