CONTINUITÉ ROYALE, FINANCES MUNICIPALES ET FERVEUR POPULAIRE
Aix-en-Provence au XVIIe siècle
ARTICLE
Sous l’Ancien Régime, il est communément admis que l’adhésion du peuple à la monarchie repose sur la représentation qu’est capable d’en donner le roi, que les préséances et les rangs correspondent à la place de chacun dans la société du fait de sa naissance. Les cérémonies autour du souverain sont alors un marqueur de la toute puissance royale, un facteur de sécurité dans une société d’ordres strictement hiérarchisée, un pointeur de la distance entre le monarque et ses sujets.
S’il semble que les élus décident librement du faste à donner aux fêtes, il leur faut tenir compte du poids des traditions, des instructions du Parlement de Provence et parfois des directives de la cour. Cependant, des entrées solennelles, du sacre et de proclamation de la régence, il est clair que seul le premier poste est digne d’intérêt aux yeux des Aixois. C’est ce rite d’accueil qui justifie la mise en scène susceptible de légitimer l’engagement financier de la cité. L’apologie du pouvoir n’a d’intérêt qu’en présence de l’intéressé, la gloire du monarque ne prend son sens que s’il en est le témoin direct. Les autres cérémonies méritent certes d’être marquées, mais le destinataire ne pouvant apprécier directement les efforts et la joie des habitants, il est inutile d’engager des dépenses pour une mise en scène dont les retombées sont des plus aléatoires.
Cet engagement est d’autant plus important qu’il ne faut pas oublier qu’au moment des guerres de religion, la capitale de la Provence a fait appel au roi d’Espagne et au duc de Savoie. En 1600, lors de l’entrée de Marie de Médicis, c’est le roi qui est fêté afin de le rassurer sur les intentions de la ville. Il convient d’affirmer avec force que désormais la Provence se rallie sans condition à la monarchie. Lors de la réception de Louis XIII, ce besoin est moins évident, mais il est toujours bon que le souverain ne doute pas de l’intégration de cette province au royaume de France. Dans ce contexte, les édiles ont pour tâche de montrer au roi, et dans une moindre mesure à ses représentants, que désormais, dès lors qu’il respectera les privilèges concédés par les comtes de Provence, il pourra compter sur la loyauté de sa capitale. Certes, comme Louis XIV en fera l’expérience, les Aixois sont toujours turbulents, n’hésitant pas à contester ses décisions, à mener leur vie politique comme ils l’entendent, mais fondamentalement à aucun moment ils ne remettent en cause leur attachement à la monarchie. Les efforts financiers de la ville montrent ici la volonté des élus d’affirmer le pouvoir royal, de mettre en scène l’expression publique de l’autorité monarchique.
Selon les comptes de la ville, une distinction entre les postes s’impose. Ainsi les chiffres pour les entrées, ce moment particulier de la vie de la cité par la rareté de l’événement, par les efforts que sont obligés de consentir les dirigeants pour confirmer l’adhésion de la ville à la monarchie, pour exalter la majesté royale, ne marquent pas une évolution significative car à chaque fois le contexte est différent. En 1600, les difficultés comptables sont telles qu’il était difficile d’investir davantage, avec Louis XIII les dépenses sont à la hauteur de l’honneur et du plaisir que ressentent ses sujets, avec Louis XIV l’ambiance n’est pas à la fête. Par contre, pour tous les autres postes, l’évolution est flagrante, que les dépenses augmentent considérablement ou que des événements passés un temps sous silence soient désormais célébrés. Cette progression est liée à la montée de l’absolutisme royal, Les Aixois pressentent qu’il est de leur intérêt de soutenir le régime en place, poussés en cela par le Parlement qui fait le jeu du pouvoir. Au fil du temps, il est vraisemblable que l’une ou l’autre raison l’emporte ou qu’elles se marient, avec pour résultat que les élus montrent leur attachement au régime, stimulent la ferveur populaire, organisent la propagande royale, se comportent en agents du monarque.
À la fin du XVIIe siècle, les dépenses sont en harmonie avec le siècle de Louis XIV, avec les fastes qui se déroulent à Versailles, avec la conscience que la capitale provençale doit tenir son rang et faire aussi bien que les autres grandes villes du royaume.