« DETTE PASSIVE » ET FINANCES MUNICIPALES
L’exemple d’Aix-en-Provence au XVIIe siècle
État de la question
ARTICLE
À la fin du XVIe siècle, la comptabilité aixoise se caractérise par la recherche d’un certain équilibre entre les recettes et les dépenses. Que ces dernières soient supérieures aux rentrées et les paiements sont suspendus. Bon an mal an, le système fonctionne, à condition qu’aucun événement ne vienne enrayer la machine, comme c’est le cas en 1593 quand les Catholiques affrontent les Protestants, quand les Ligueurs s’opposent aux Royalistes, quand les Comtins luttent contre les Carcistes.
L’emprunt se caractérise par son aspect contractuel : la communauté offre aux particuliers de leur « vendre une pension », ces derniers acceptent de souscrire, les termes du contrat étant imposés par la coutume. C’est une nécessité pour la ville, avec ce grave inconvénient qu’il s’agit d’une recette extraordinaire dont le poids, à travers les pensions à payer annuellement, pèsera sur les générations futures, le remboursement du capital n’intervenant que dans des cas exceptionnels. En l’absence de tout amortissement systématique de la dette, elle se maintient au fil du temps et s’aggrave en fonction des difficultés financières de la communauté. Il faut souligner encore le caractère ambigu de l’emprunt : s’il est bien entendu que pendant une grande partie du XVIIe siècle les Aixois utilisent leurs fonds comme ils l’entendent, il n’est pas sûr qu’ils aient à leur disposition et à proximité d’autres moyens de placements aussi sûrs. Dans ce cas, l’absence de concurrence conduit normalement les capitaux disponibles vers la communauté. La liberté des Aixois serait donc moindre qu’il ne paraît, celle de la ville est pratiquement inexistante.
À la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, il n’est pas dans les habitudes des conseillers de lancer un emprunt pour financer les dépenses ordinaires de la ville. Ils tentent d’équilibrer les comptes en recourant aux impôts mais, au fil du temps, les ressources ordinaires devenant insuffisantes, ils sont contraints de trouver une autre source de revenus et peu à peu l’appel à l’emprunt va se généraliser.
Actuellement, il est difficile d’estimer de façon certaine la dette passive à la fin du XVIe siècle. Il semblerait qu’en totalisant les pensions payées par le trésorier et en calculant le capital correspondant, on puisse procéder à une évaluation, mais la situation est bien plus complexe. Les pensions payées d’une année à l’autre sont fort variables, sans qu’on puisse trouver une explication dans les arrérages. À plusieurs reprises, un état des créanciers (qui ne semble pas avoir été conservé) est fourni aux fermiers. Des prêteurs sont donc remboursés sans que cela passe par la comptabilité du trésorier de la ville.
Bien entendu tout travail sur la dette publique n’a d’intérêt que si l’on est en mesure de réfléchir aux possibilités financières de la ville, le recours systématique à l’emprunt ne manquant pas d’inquiéter pour un équilibre qui n’a toujours été que fort précaire. Pour s’en convaincre, il suffit de s’attacher aux pensions versées chaque année, et surtout aux arrérages, précieux facteur d’appréciation de l’état des finances municipales : que le trésorier dispose des fonds suffisants et il règle à peu près toutes les pensions, que les rentrées soient plus difficiles que prévu et certains créanciers attendront l’année suivante. Dans la mesure où les pensions correspondent à un capital déterminé, il semblait aisé de mesurer l’évolution de l’endettement au fil des ans, mais c’était sans compter les incohérences et s’il est possible de livrer quelques évaluations, dans l’état actuel de la recherche, on doit renoncer à calculer exactement la dette publique en partant de ces données. Par contre, les calculs permettent de conclure que les emprunts tenaient une place essentielle dans le fonctionnement de la cité, à tel point que, ne pouvant manquer de remarquer combien ils étaient dépendants des prêteurs, les conseillers ont tenté de diminuer la masse des pensions soit en réduisant le taux, soit en remboursant des capitaux Malheureusement, pour produire tous ses effets, cette mesure d’assainissement devait s’accompagner d’une limitation du recours à de nouveaux emprunts, ce qui relevait de l’utopie. Cette spirale attira l’attention du pouvoir central et le conduira à confier à l’intendant un rôle prépondérant dans les finances de la ville, ce qui ne signifie pas que les difficultés étaient terminées pour autant.
En conclusion, sans crainte de se tromper, on peut affirmer qu’à Aix-en-Provence, la dette publique a véritablement pris naissance au début du XVIIe siècle : jusqu’en 1610, les élus ne recourent pas à ce type de ressource alors que les soldes de fin d’exercices commencent à être débiteurs. Les premiers prêteurs (l’hôpital Saint-Jacques et les confréries) n’avaient pas pour ambition de secourir les finances municipales, ils mettaient leurs capitaux à la disposition de la ville afin qu’ils ne soient pas improductifs. La ville ne recherchait pas de fonds, elle rendait service en acceptant les offres.
Un premier glissement s’opère au début du XVIIe siècle, mais c’est la peste de 1629 qui constituera la charnière. Pour les dirigeants, les dépenses seront telles que les ressources ordinaires ne pourront suffire, pour les Aixois, l’argent placé sur la ville sera une bonne opération. Le processus était enclenché et désormais la dette publique ira en s’accroissant, bien souvent sous la poussée d’événements sur lesquels les élus avaient peu de prise. Certes, pour assurer ses dépenses, il aurait été préférable que la communauté leva des impôts, mais cette ressource n’étant pas extensible à l’infini, il fallait bien trouver un système pour financer ce qui excédait les ressources ordinaires.
Ce n’est pas un hasard si l’ensemble des villes du royaume ont suivi la même voie et se sont endettées auprès des particuliers. Non seulement l’État était très discret, mais il lui arrivait très souvent de compter sur ses « bonnes villes » pour fournir les deniers nécessaires à sa politique.
A de nombreuses reprises les Aixois ont été contraints de présenter l’état des dettes de la communauté et au fil du temps une surveillance financière s’est mise en place. Sous couvert de reprise en main des finances municipales, le premier objectif du roi était d’assurer des rentrées régulières et de plus en plus considérables dans les caisses de l’État afin de financer la guerre. Les problèmes budgétaires des communautés l’indifféraient superbement, la mise en tutelle financière allait de pair avec la fin de l’autonomie électorale et donc politique des communes. Le roi affirmait son absolutisme, imposait une centralisation administrative prouvant que toutes les provinces étaient désormais intégrées au royaume de France.
TABLEAUX
Tableau n° 1 : Amortissement de la dette publique
Tableau n° 2 : Nécessité de recourir à l’emprunt
Tableau n° 3 : Poids des pensions sur les finances municipales
Tableau n° 4 : Emprunts et finances municipales
Tableau n° 5 : Rapprochement entre la dette réelle et les capitaux honorés
Tableau n° 6 : Evolution de la dette publique