Le code forestier et les communaux boisés (1827 – 1900)
ARTICLE
L’administration des eaux et forêts estime la soumission indispensable chaque fois qu’il est souhaitable de prévenir les dangers d’une exploitation abusive et mal ordonnée qui en amèneraient fatalement la ruine, dans un avenir plus ou moins éloigné. Forte de l’expérience qui montre que les habitants cherchent à retirer des bois communaux la plus grande quantité possible de produits, sans s’inquiéter des conséquences que cette perception exagérée des fruits peut avoir sur l’avenir de la forêt, l’administration, pour prévenir ces abus et assurer un profit constant et soutenu aux générations futures, doit diriger la culture et la surveillance des bois des communes. Seule la preuve que les bois ne répondent pas à la définition de l’article 90 du Code forestier, ici particulièrement clair (« ne peuvent être soumis que les bois susceptibles de donner un produit en argent au moins suffisant pour payer les frais d’administration ») permet d’échapper à cette tutelle. Ainsi, les bois communaux ne sont pas soumis de plein droit au régime forestier. Tant qu’ils ne sont pas reconnus susceptibles d’aménagement ou d’exploitation régulière, tous les terrains restent normalement soumis à l’administration municipale. Malgré la clarté du Code, les difficultés d’application ne manqueront pas.
Dès 1828, les communes dont les bois sont déjà soumis au régime forestier sont appelées à faire connaître leurs intentions : recouvrement de la libre administration de leurs forêts ou maintien de la situation existante.
S’il est vrai qu’un certain nombre de maires répondent favorablement (ils trouvent dans ce régime, grâce à une protection qu’ils seraient incapables d’assurer eux-mêmes, une amélioration appréciable de l’état des forêts), dans l’ensemble, les communes récalcitrantes l’emportent. Dans les Alpes de Haute-Provence, 47,64 % des communes s’opposent à la soumission et tenteront par tous les moyens de revenir à l’état antérieur à l’an X. Dans le Vaucluse, on relève une opposition de 56,71 % alors que dans le Var, pour les communes dont l’attitude est connue, 64,10 % d’entre elles s’opposent au maintien. Dans les Bouches-du-Rhône, l’opposition est plus nette puisqu’elle atteint 76,81 % [5]. |
Pour s’opposer à l’application de l’article 90, nombre de communes prétendront que leurs forêts ne répondent pas à la définition du nouveau Code, d’où conflits avec l’administration forestière, le thème étant toujours le même : l’une estime que les bois répondent à la définition de l’article 90, les autres démontrent qu’ils ne sont pas susceptibles d’aménagement et que leur rapport est nul. Généralement l’administration forestière l’emporte et obtient de l’autorité administrative la soumission des bois au régime forestier.
Devant le nombre et la répétition des plaintes, le pouvoir central rappellera que ne doivent être soumis que les terrains en nature de bois. Devront donc être abandonnés à la jouissance des communes les espaces vides et ceux dont le reboisement complet ne pourrait s’opérer par des semis naturels ou par le recépage. L’application en Provence de la lettre de l’administration du 15 mai 1837 pose des problèmes car les bois sont souvent inexistants et remplacés par des landes arides où ne survit qu’une triste végétation. En fait, de nombreux terrains compris dans les forêts communales sont vides d’arbres : les défrichements, les cultures céréalières, le pacage des troupeaux enfin sont venus à bout de toute végétation. Cette recommandation sera insuffisante pour apaiser le climat et en 1854, les réclamations de plus en plus nombreuses contraindront le législateur à intervenir. Le conservateur des forêts sera alors chargé de dresser, pour chaque commune, un état avec situation, nature et étendue, peuplement et produits, afin d’estimer l’utilité de la soumission. Mais le contenu des dossiers montre que soumettre le plus grand nombre de forêts au régime forestier demeure l’objectif principal de l’administration forestière. Les bois sont en bon état : la soumission les protégera ; ils sont rabougris : la soumission permettra le repeuplement ; ils sont d’un bon rapport : la soumission l’améliorera encore ; ils sont d’un rapport insuffisant : la soumission sera alors un progrès.
La soumission, par l’influence qu’elle exerce directement sur la vie de la population, est source de nombreuses réclamations qui concernent notamment la restriction du pâturage, souvent seule ou principale ressource de la population et il est fréquemment souligné que le Code forestier rend précaire la situation de bien des familles pastorales, d’où le nombre des demandes de distraction.
- Distraction des communaux boisés
L’administration des forêts est très prudente, voire réticente, pour accorder la distraction du régime forestier. Le problème se pose en termes simples, surtout dans les Bouches-du-Rhône : d’un côté, les communes prétendent ne posséder que des bois rabougris, des espaces non boisés, de l’autre, l’administration trouve des forêts tôt ou tard d’un bon rapport pourvu qu’elles soient bien protégées et reboisées.
Pour refuser la distraction, l’administration forestière peut, tout en reconnaissant que les bois ne sont pas de nature à offrir un grand intérêt sous le rapport de l’économie forestière, s’attacher à l’avantage inappréciable du maintien de la terre sur des pentes rapides, qui permet l’alimentation des sources des environs. Que la forêt demeure soumise à l’article 90 du Code forestier et elles seront protégées, alors que dans le cas inverse, les bois étant menacés de destruction rapide, les sources tariront, privant d’eau plusieurs localités. De la vigilance de l’administration forestière dépendent, non seulement le maintien des sources, mais aussi la préservation du précieux bois de chauffage.
Des nombreux exemples recueillis, il ressort que l’administration admet difficilement la soustraction du régime forestier, d’où des relations extrêmement dégradées [6].
A partir de 1854, conséquence directe de l’application rigoureuse de l’article 90 par l’administration forestière, les dossiers sont soumis à un examen approfondi et le mode d’application du régime forestier est révisé. S’il est toujours hors de question de distraire les forêts dont le produit annuel est certain ou dont l’aménagement est possible, par contre, les terrains à pâture, qu’ils soient entièrement découverts ou qu’ils conservent les restes d’un ancien peuplement et les bois dont le produit est si faible qu’il ne couvre pas les frais d’entretien et d’administration seront exclus du régime forestier.
Cette nouvelle mesure va à l’encontre de la politique forestière imposée depuis 1827 et s’il fallait s’en convaincre d’avantage, il suffit d’ajouter que désormais seront aussi exclus les terrains susceptibles d’être repeuplés si les communes n’ont pas les moyens de subvenir à cette dépense considérable. On pourrait désormais attendre un certain assouplissement de la part de l’administration forestière dans l’application de l’article 90, mais il n’en est rien.
D’une manière générale, la réticence de cette administration est grande pour accorder la distraction du régime forestier et si elle prend régulièrement en compte l’intérêt du sol, il lui arrive aussi d’émettre des considérations d’un autre ordre. Lorsque la commune d’Aureille (Bouches-du-Rhône) demande la distraction d’une partie de la forêt pour la livrer au pâturage des moutons, l’administration relève qu’un accord dépouillerait la classe pauvre au profit de quelques propriétaires de troupeaux favorisés par ailleurs par la fortune.
Il est fréquent que les communes réclament la distraction du régime forestier en faisant appel à des arguments financiers. Elles ont alors à cœur de prouver que l’administration municipale est plus profitable que l’administration forestière et effectivement, suivre les arguments de cette dernière, déduire que les bois non soumis sont laissés à l’abandon serait une erreur. De nombreux exemples montrent le soin que certaines communes apportaient à la gestion de leurs forêts, de plus une réglementation protégeait la végétation : il était défendu de faire des coupes, excepté pour les arbres rabougris, de chablis, ceux qui pouvaient servir à la construction ne devaient être abattus qu’avec l’autorisation écrite du maire…
La soumission des bois communaux au régime forestier devait améliorer la couverture forestière de la Provence. Si aujourd’hui il est encore difficile d’affirmer que l’objectif a été partout pleinement atteint, il faut cependant admettre que l’amélioration fut considérable, notamment dans le département de Vaucluse dont les archives livrent les chiffres qui permettent d’appréhender ce que fut l’évolution du patrimoine forestier depuis 1669. De cette date jusqu’à 1830, la majorité des communes forestières (46 sur 78) a vu disparaître ses forêts dans des proportions considérables : moins 32,77 %. Lorsqu’on sait comment fut protégée la forêt par l’ordonnance de 1669, on mesure mieux l’œuvre destructrice de la fin du XVIIIe siècle. Cette évolution, qui n’a pas échappé au législateur, a été enrayée par la mise en œuvre du Code et il est évident que la soumission au régime forestier a sauvé la forêt puisque de 1830 à 1879 la surface boisée a augmenté de 177,30 %, chiffre d’autant plus considérable qu’il faut tenir compte de l’augmentation de la population et des besoins croissants de l’industrie.
Si quelques communes pouvaient fort bien s’administrer elles-mêmes en matière forestière, pour la majorité d’entre elles, il faut reconnaître que la soumission a été bénéfique, mais on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la politique de l’administration forestière. On est loin de l’esprit du Code qui prévoyait une administration de précaution et de garantie. Par contre, et c’est une réalité, la soumission s’inscrit dans un mode de gestion qui tient à la mise en place d’un état forestier amorcé en 1669, lequel prévoit, dans des cas exceptionnels, de restreindre le droit de propriété des particuliers possesseurs de forêts.
B – LIMITATION DU DROIT DE PROPRIETE DES PARTICULIERS
Le Code limite les restrictions au droit de propriété, mais certaines demeurent. C’est ainsi que les articles 151 [7] et suivants réglementent le droit de construire dans le << rayon prohibé >>, périmètre qui entoure les forêts protégées, pris sur les terrains mitoyens de particuliers dont on craint la promiscuité et les déprédations.
Ainsi, il est interdit de construire dans le rayon prohibé des fours à chaux ou à plâtre, des briqueteries, tuileries, tous établissements dangereux, insalubres ou incommodes tels des ateliers ou manufactures, autant de constructions qui peuvent causer des incendies, mettre en cause la salubrité ou répandre de mauvaises odeurs. Sont encore visées les constructions de loges, baraques, hangars, maisons ou fermes. Le rôle protecteur de l’administration connaît cependant des limites. Dans certains cas, elle est obligée d’admettre qu’il existe un intérêt supérieur qui impose d’ignorer les articles 151 et suivants du Code.
- Constructions dans le rayon prohibé et administration des forêts
Protection de la forêt et nécessité de respecter les principes libéraux en donnant satisfaction aux propriétaires chaque fois que la cohabitation est possible ou souhaitable sont les deux notions présentes à l’esprit de l’administration forestière, chargée par le législateur de protéger notamment les bois soumis au régime forestier.
Le rôle de l’administration est nettement perceptible à travers les procès-verbaux de reconnaissance établis par le garde. D’une manière générale, la présence du pétitionnaire (demandeur) ne doit pas nuire à la surveillance forestière, il ne doit pas profiter de la construction pour commettre des délits forestiers et ne devra jamais abuser de l’autorisation[8].
Cependant, l’administration forestière est consciente de l’amélioration que peut apporter une nouvelle industrie dans une commune. Ainsi, lorsqu’on lui demande l’autorisation de construire une usine pour la fabrication de la chaux et la distillation du bois, à proximité des bois de Saint-Victoret (Bouches-du-Rhône), le rapport de la direction générale des forêts montre que l’industrie sera une source de travail et de salaires pour les habitants du pays durement touchés par le phylloxéra. Si la forêt environnante avait été d’une grande qualité, l’administration aurait peut-être hésité à donner son consentement, comme le bois communal n’était peuplé que de chênes kermès et d’arbustes d’un produit minime, elle n’a fait aucune difficulté pour accorder l’autorisation demandée.
Le Code forestier impose une distance proportionnelle au danger que présentent les constructions pour le sol forestier et l’administration des forêts est sensible à cette gradation. Si pour les scieries (art 152) elle fait preuve d’une grande sévérité, pour les autres constructions, d’une manière générale, elle établit un rapport entre le danger et l’utilité de la construction et, chaque fois que la forêt ne court pas de risque, elle donne un avis favorable, limitant autant que possible l’atteinte au droit de propriété, sauf lorsque certaines constructions lui sont particulièrement désagréables, comme celles qui n’ont pas pour but de faciliter la vie agricole ou industrielle, mais sont plutôt liées aux loisirs ou aux pratiques locales. Sont visés ici les postes à feu (constructions en pierres sèches ou en maçonnerie) et les cabanes de verdure (assemblages de branches) d’où l’on tire sur les grives au moment de leur passage. Cette chasse se pratique partout en Provence, cependant, à notre connaissance, seules les archives départementales des Bouches-du-Rhône ont conservé la trace de demandes de telles constructions à distance prohibée et pendant 35 années, cette politique a évolué, allant du refus systématique à une autorisation circonstanciée.
Il est des cas où le Code forestier a prévu que l’autorisation de l’administration n’était pas nécessaire. Selon l’article 153 alinéa 3, les maisons ou fermes actuellement existantes « pourront être réparées, reconstruites et augmentées sans autorisation ». Le Code forestier ne stipulant aucune dimension ou proportion concernant l’agrandissement, la Cour de cassation a pallié le silence du Code en admettant qu’un propriétaire puisse faire aux constructions toutes les augmentations qui auront pour objet de les rendre plus spacieuses, plus commodes, mieux appropriées aux besoins domestiques et aux nécessités de l’exploitation rurale. Toutefois, ces constructions nouvelles ne devront être que les accessoires des anciennes maisons ou fermes. Dans les Bouches-du-Rhône, l’administration forestière fait preuve d’une grande souplesse et, prenant les termes de cette disposition dans son sens le plus large, elle permet l’agrandissement d’un simple cabanon car la destination de la construction reste identique.
De plus, le Code prévoit quelques mesures d’assouplissement. Ainsi, selon l’article 153 alinéa 4, l’autorisation de construire à distance prohibée est inutile lorsque « les bois et forêts appartenant aux communes sont d’une contenance au-dessous de 250 ha ». Une forêt d’un hectare ne peut être soumise au même régime qu’une vaste forêt. Le but d’un tel assouplissement est évident : si l’interdiction valait pour toute forêt communale quelle que soit sa superficie, de nombreux propriétaires ne pourraient profiter de leur bien. Le Code forestier, en établissant un rapport entre la limitation portée au droit de la propriété privée et le bien à protéger, essaie de préserver un certain équilibre entre les intérêts en présence.
Autre mesure, celle prévue par l’article 156 concernant « … les maisons et usines qui font partie de villes, villages ou hameaux formant une population agglomérée bien qu’elles se trouvent dans les distances ci-dessus fixées des bois et forêts ». Les maisons doivent être disposées de telle façon que la surveillance des unes par les autres soit possible, mais un certain éloignement n’est pas un inconvénient si les maisons forment un ensemble.
En 1827, le législateur donne un pouvoir exorbitant à l’administration forestière en lui permettant de décider seule des autorisations qu’il faut accorder pour construire dans le rayon prohibé. Lors de la discussion du projet de Code, certains députés craignaient que cette administration n’abusât de son pouvoir. Il semble au contraire qu’elle ait toujours mesuré la portée de ses décisions, qu’elle ait toujours eu pour souci de respecter les principes libéraux lorsque la forêt n’était mise en péril que dans des proportions très réduites, mais cela ne signifie pas que les particuliers admettaient toujours de se plier à la réglementation.
Tous les articles du Code[9] disposent qu’en cas de contravention, les auteurs des délits doivent payer une amende et supporter une contrainte sur le bien litigieux (démolition).
Il faut souligner la rigueur des peines puisque la plus faible pouvait représenter plusieurs fois le produit annuel d’un hectare[10].
D’une manière générale, l’administration n’abuse pas de son pouvoir. Elle sait oublier l’intérêt de la forêt lorsqu’elle juge qu’un intérêt privé est supérieur ou équivalent et, de son plein gré, elle restreint sa protection, pouvoir qui n’est cependant pas sans limite car il arrive que cet équilibre soit rompu, que la forêt subisse des atteintes considérables sans que l’administration des forêts puisse s’y opposer.
- Atteintes portées à la réglementation
La protection de la forêt est un objectif majeur tant qu’il n’est pas opposé à un intérêt jugé supérieur. Pour rares que soient les atteintes, elles méritent un développement spécial puisqu’elles mettent en évidence les limites des pouvoirs de l’administration forestière face à des constructions d’intérêt général ou militaire.
Dans le premier cas, refuser une demande de dérogation à la réglementation porterait atteinte au développement des régions et au progrès en général.
Dans le second cas, ou bien l’administration forestière mise devant le fait accompli n’a aucun avis à donner, ou bien on sollicite son autorisation alors qu’il est évident qu’elle est dans l’impossibilité d’opposer un quelconque refus.
La construction de la ligne de chemin de fer de Marseille à Toulon entre dans le premier cas. Il faut aussi évoquer les travaux liés à la création de routes. L’administration s’incline devant un intérêt supérieur.
Lorsqu’il le faut, elle sait s’effacer devant l’intérêt général. Il en est de même devant l’intérêt militaire alors que l’atteinte est plus grave. Ainsi, lors de l’édification du camp des Alpilles, l’administration des forêts n’est pas consultée. Mise devant le fait accompli, elle ne peut que s’inquiéter de la protection des intérêts forestiers de la commune car il est évident que la construction de 154 baraques dont 48 vont à elles seules couvrir environ 500 ha, entraînera inévitablement de nombreux dégâts.
Dans les deux cas, l’administration est dépossédée de ses pouvoirs. Cependant, il ne semble pas que de telles atteintes soient extrêmement dangereuses pour la forêt. La construction de voies ferrées et de routes contribue au développement économique des régions, ne serait-ce qu’en facilitant le transport des produits forestiers. La situation est plus grave avec l’établissement de camps militaires mais, pendant 75 années environ, une telle exception est unique semble-t-il.
Des documents conservés dans les fonds d’archives, surtout pour l’article 90, il semble qu’une certaine distinction puisse être opérée entre les différents départements. Dans le Vaucluse et les Alpes de Haute-Provence, l’opposition à l’administration forestière est moins virulente que dans les Bouches-du-Rhône et le Var. Ceci ne ressort pas seulement des chiffres (quand on peut les établir), mais aussi de l’état d’esprit qui se dégage de la correspondance en général. Une première explication tient vraisemblablement à la nature et à la richesse des forêts, mais on ne peut ignorer l’histoire des mentalités, la situation économique, la démographie…
Dès 1828, deux discours se côtoient : d’un côté, l’administration œuvre pour léguer aux générations futures des forêts dans le meilleur état possible, de l’autre, les communes, préoccupées du quotidien, (l’incurable oubli du lendemain comme dira le baron du Teil à la chambre des députés[11]) attendent de ces mêmes bois qu’ils satisfassent aux besoins de la population ou qu’ils contribuent aux finances municipales.
En ce qui concerne les articles 151 et suivants, autant que cela soit perceptible, les dossiers montrent que les agents de l’administration forestière ont fait preuve de discernement pour leur application, respectant autant que possible le droit de propriété des particuliers. Souplesse d’ailleurs indispensable : l’administration se souvenait de ces réglementations antérieures tombées en désuétude pour avoir été trop rigoureuses. Elle voulait que les articles 151 et suivants soient tolérés par la population, pour cela, elle évitait d’être trop tatillonne et les dossiers consultés montrent qu’apparemment, elle a atteint son but. Cependant, une certaine prudence s’impose : les archives ne contiennent que les demandes de dérogation, les procès-verbaux de reconnaissance, les arrêtés… Autant de documents qui ne permettent pas d’affirmer que les propriétaires admettaient bien la nouvelle réglementation : on ne peut que constater qu’ils acceptaient de s’y plier. A cette époque, la population était plutôt hostile à l’administration des forêts, mais les articles 151 et suivants jouissent d’un statut spécial. Ils ne rencontrent pas la même animosité que celle relative aux défrichements, aux reboisements, à l’interdiction de faire paître les animaux, couper du bois dans les forêts protégées … peut-être parce que le besoin n’a pas le même aspect vital. Dans un cas, les droits de propriété sont simplement restreints (dans certains cas ils l’étaient déjà auparavant), dans l’autre, la population la plus démunie est privée d’un moyen d’existence ou de sources de revenus (lorsque les propriétaires ne peuvent disposer de leurs arbres destinés à la marine par exemple).
Régulièrement, lors des heurts entre l’administration forestière et les communes, un argument est invoqué : les finances. Si la première estime que l’application du Code ne peut qu’accroître le rapport des forêts, les secondes démontrent que la confiscation de leurs communaux boisés mettra en péril leur fragile équilibre budgétaire.
II – FINANCES MUNICIPALES ET COMMUNAUX BOISES
Pour aborder la place des forêts dans les finances municipales[12], deux postes ont été retenus qui présentent l’intérêt, partant d’un objectif identique, d’avoir évolué différemment au fil du temps, le pâturage ayant été à peu près abandonné partout en Provence, la chasse ayant conquis, si ce n’est la gratuité, au moins la liberté.
Parmi les ressources offertes aux communautés paysannes par les forêts[13], il faut citer l’élevage puisqu’on ramasse en forêt les feuilles mortes pour la litière, les glands pour la nourriture de certains animaux, et surtout on y pratique le pacage et le pâturage des caprins, activité essentielle en Provence. Comme il n’existe pas assez de prairies naturelles pour nourrir le bétail, comme la jachère, exposée à la sécheresse de l’été, ne produit pas assez d’herbe, le pacage est presque une nécessité. Ainsi, la forêt a été dévastée par les bêtes blanches surtout les chèvres, et en beaucoup d’endroits elle n’a jamais pu se reconstituer[14].
Ce droit d’usage prend un relief particulier dans les pays où l’exception prévue par l’alinéa 3 de l’article 110[15] devient la règle. C’est le cas de la Provence où les dirigeants municipaux élèvent de vives protestations afin d’obtenir le maintien de l’ancien système.
Quand au XIXe siècle l’administration est chargée de conserver le patrimoine forestier pour les générations futures, d’améliorer son état, lorsqu’ils peuvent conduire à sa perte, cela passe parfois par la suppression d’abus de jouissance. Parmi ceux-ci, en bonne place, figure la chasse, avec toutes les atteintes que représente sa pratique pour la dégradation de l’environnement et pour la propagation des incendies. Les agents forestiers devront alors s’opposer aux administrateurs municipaux, aux préfets, aux chasseurs pour protéger coûte que coûte un patrimoine dont peu de gens semblent se soucier.
A – PÂTURAGE FORESTIER
Si l’on en croit l’administration forestière, la suppression du pâturage forestier, source de dégradation des bois communaux, doit permettre la régénération de la forêt et doit déboucher obligatoirement sur une augmentation des autres postes forestiers, dont celui des coupes ordinaires. Cette évolution est assez logique, encore faut-il la vérifier et pour cela, il faut recourir à la comptabilité communale qui, année après année, pour vingt communes réparties entre les départements des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse, livre les chiffres représentant les recettes et les dépenses forestières et le budget global de la commune. Il est ainsi possible de mesurer la progression du pâturage forestier, sa place dans la vie financière de la commune et la politique des dirigeants à l’égard de leur patrimoine forestier[16].
- Difficultés d’application en Provence de l’article 110 du Code forestier
Dans les régions montagneuses comme celles de Haute-Provence, là où l’élevage du mouton constitue à peu près la principale ressource des habitants, l’alinéa 3 de l’article 110 est vital.
S’il est impossible d’exclure définitivement les moutons des forêts communales dans cette région tant que les conditions économiques dans ces hautes vallées ne sont pas modifiées, il faut aussi veiller, et c’est là le plus difficile, à leur interdire l’accès des parties ruinées, principalement vers le haut des versants rapides d’où partent souvent de formidables avalanches dues au piétinement des moutons, ainsi qu’au déchaussement brusque des blocs à fleur de terre au moment du dégel. C’est dans ces parties que pousse l’herbe fine et tendre que le mouton préfère aux grandes touffes d’herbes qui poussent, acides et coriaces, sous le couvert des grands bois.
En ce qui concerne les chèvres, la prohibition ne peut souffrir d’exception, le pâturage forestier de ces animaux n’existe plus qu’à l’état de lointain souvenir.
Les communes provençales, pour lesquelles le pâturage forestier est d’une telle importance que toute limitation est perçue comme une atteinte intolérable, mesurent rapidement l’importance de cet aménagement. Dès 1828, sur 67 communes de Vaucluse, 66 demandent à bénéficier de l’alinéa 3 de l’article 110 du Code.
En prévoyant cette dérogation, le législateur a imposé un certain nombre de précautions afin que les communes ne soient pas tentées de vider l’article protecteur des forêts de son contenu.
Celles-ci s’articulent autour de trois idées. La première concerne les forêts qui ne peuvent supporter le pâturage des moutons, la seconde vise les bénéficiaires de la dérogation et enfin la troisième s’attache aux animaux qui sont admis au pacage.
Selon l’article 67 du Code forestier[17], quels que soient l’usage ou l’essence des bois, les usagers ne peuvent exercer leurs droits de pâturage et de panage que dans les cantons qui ont été déclarés défensables par l’administration forestière.
L’âge et la nature du bois influent en effet sur les usages que les lois permettent d’en faire. En principe, le bois est en défends jusqu’à ce qu’il ait acquis la force nécessaire pour que les bestiaux ne puissent pas lui nuire par leurs dents, cornes ou pieds et ils sont réputés dangereux tant que leur morsure peut arrêter la croissance[18]. L’ordonnance de 1669, titre 25, article 13 le déclare tel à six ans, mais elle est sur ce point plus démonstrative que limitative. Cela dépend de l’espèce du bois, du climat, de la qualité du sol et même des saisons.
Si l’administration forestière estime que le parcours est dangereux pour les jeunes arbres, elle peut supprimer l’autorisation et déclarer que les bois sont en défends, mesure rarement appréciée par les communes.
L’administration fixe la durée du pâturage suivant l’état et la possibilité de la forêt. Chaque année, conformément à l’article 69 du Code forestier[19], avant le 1er mars, les agents forestiers font connaître aux communes et aux particuliers jouissant des droits d’usage, les cantons reconnus défensables et le nombre de bestiaux admis au pâturage. Le pâturage est d’une telle importance pour nombre de communes que les heurts avec l’administration forestière sont inévitables.
Il ne suffit pas que le parcours ne soit autorisé que dans les cantons défensables à certaines époques, il faut aussi imposer un certain nombre de conditions visant les propriétaires de troupeaux, donc les bénéficiaires de la dérogation.
Le droit de pâturage est exercé par tous les habitants de la commune, propriétaires ou fermiers, sans qu’il soit nécessaire pour eux d’être français de naissance ou naturalisés français. Lorsqu’une ordonnance du chef de l’Etat autorise le pâturage des moutons dans les bois d’une commune, ce droit appartient à tous les propriétaires de la commune, quel que soit leur domicile.
Enfin, les dernières précautions à envisager, et elles sont nombreuses, concernent les animaux.
D’une manière générale, en Provence, les problèmes de pâturage forestier sont liés aux moutons, les chèvres ayant été évincées définitivement. Exceptionnellement, la demande de dérogation peut concerner les porcs comme c’est le cas à Escragnoles (Var) en 1834.
Dans les bons pâturages, qui ne sont exposés ni à la dénudation, ni au ravinement, la possibilité, de juin au 15 octobre, est de dix moutons à l’hectare. Si des dévastations sont à redouter, il n’y en a plus que cinq et parfois moins. En fait, l’idéal est deux moutons à l’hectare et dans les garrigues une bête seulement pour que la végétation n’ait pas le dessous. En fixant le nombre d’animaux à admettre au pâturage, le conservateur des forêts tient compte des droits des usagers, de la possibilité des bois et doit avoir constamment à l’esprit qu’il faut éviter de perturber les conditions d’existence des communes pastorales.
Le Vaucluse excepté, on ignore pour les autres départements comment les dirigeants intégraient la nouvelle réglementation mais, si l’aspect quantitatif nous échappe, il demeure l’aspect qualitatif et là, même en tenant compte des dossiers manquant, il est certain que l’opposition l’emporte. D’ailleurs, dans un premier temps, pouvait-il en être autrement ? Etait-il facile de demander aux habitants de se plier à cet article, l’objectif à long terme étant l’abandon de cette pratique ? Etait-il possible d’inciter les petits propriétaires à recourir à d’autres méthodes pour nourrir le bétail alors que le climat de la Provence se plait à griller le moindre brin d’herbe parfois dès le mois de mai ?
Que les élus municipaux aient tenté de préserver le pâturage forestier le plus longtemps possible semble assez normal, surtout si l’on tient compte du fait que cette nouvelle réglementation se combinait avec d’autres mesures au moins aussi contraignantes, celle limitant la chasse n’étant pas la moindre. Les chiffres présentés ci-dessous prouvent que les communes abandonnent relativement facilement cette ressource. On ne trouve pas dans ce domaine l’opposition virulente qui fit ployer l’administration forestière devant l’organisation de la chasse, il faut dire que les éleveurs n’ont jamais inquiété les élus… Le plus souvent, ils ont respecté la procédure à suivre pour bénéficier de la dérogation de l’alinéa 3, ils ont accepté de payer les sommes demandées, comportement qui devait conduire à protéger le patrimoine boisé par l’abandon qui sera fait progressivement du pâturage forestier.
- Finances municipales et pâturage forestier
Pour connaître l’attitude des communes face au difficile problème du pâturage forestier, dix communes ont été sélectionnées dans les départements des Bouches-du-Rhône[20] et de Vaucluse[21], en fonction, notamment, de leur situation géographique, de leur surface forestière, de la proximité ou de l’absence de grandes villes et, pour le Vaucluse, de l’évolution de leur patrimoine forestier, autant d’éléments qui permettent d’effectuer des comparaisons.
Le pâturage est apprécié par rapport à la recette forestière mais aussi par rapport à la recette générale, c’est-à-dire l’ensemble des sommes perçues par la commune afin de dégager l’importance que celle-ci peut accorder à ce poste. En effet, le pâturage peut représenter la totalité de la recette forestière et un pourcentage dérisoire de la recette générale si les forêts sont peu productives.
Enfin, les forêts dans leur ensemble sont mises en rapport avec le budget global, c’est-à-dire les recettes moins les dépenses, car l’attrait pour le pâturage peut varier selon la richesse des communes.
Tous ces chiffres permettent de mesurer la place que tenait le pâturage forestier dans la comptabilité communale en 1827 et quelle évolution peut être relevée jusqu’à la fin du XIXe siècle.
L’administration soutient que le bon rapport des forêts dépend de la suppression de certains postes jugés dangereux, comme le pâturage par exemple. Au fil des ans, il convient de mesurer si le pâturage tient toujours la même place dans les budgets communaux et si, en cas d’abandon ou de limitation, d’autres postes peuvent produire davantage. Pour ces calculs, nous avons retenu les coupes ordinaires et extraordinaires car généralement toutes les communes comptabilisent des recettes avec ces deux postes.
Maintien du pâturage forestier ou abandon tardif
A Saint-Léger, en 1827, le pâturage forestier représente la totalité de la recette forestière et 31,45 % de la recette générale, chiffres qui montrent à quel point ce poste est essentiel pour le fonctionnement de la communauté.
Ensuite, jusqu’en 1847, aucune rentrée n’est perçue, alors que des prévisions sont effectuées et à partir de 1860, généralement le pâturage représente 50 % de la recette forestière.
La commune de Cassis, seule dans ce cas, voit disparaître le poste du pâturage forestier très tard puisque les chiffres ne commencent à baisser qu’à partir de 1891 mais alors la chute est spectaculaire et prévue. En effet, le pâturage forestier représente, en 1890, 36,39 % de la recette forestière et l’année suivante la prévision ne dépasse pas 3,61 % alors qu’aucune perception ne sera enregistrée et ultérieurement les chiffres prévisionnels seront toujours inférieurs aux chiffres effectivement réalisés.
Baisse ou disparition du pâturage forestier
Parmi les communes qui voient disparaître le pâturage forestier, un certain nombre ne subit pas une perte considérable car ce poste tenait une faible place dans la comptabilité municipale, que l’on prenne la recette forestière ou la recette générale. A Bonnieux par exemple, pour l’ensemble de la période, le pâturage forestier représente 5,21 % de la recette forestière et 1,56 % de la recette générale.
Une atténuation doit cependant être apportée à ce propos. Pour l’ensemble de la période, un certain nombre de communes ne peuvent compter sur leur pâturage forestier, mais il ne faut pas généraliser car, selon les années, l’importance de ce poste pouvait être considérable. Ainsi, à Ceyreste, de 1842 à 1850, il représente 23,66 % de la recette forestière. De même, à Bédoin, au début de l’application du Code, le pâturage tenait une bonne place dans les recettes forestières puisqu’il pouvait atteindre 89,32 % comme en 1842. Par rapport à la recette générale, le pâturage pouvait représenter 21,35 % comme en 1828, chiffre certes exceptionnel, mais jusqu’en 1849 il n’est pas rare que le pâturage contribue pour 10 % et plus au fonctionnement général de la commune.
Pour un grand nombre de communes, le pâturage forestier est un poste extrêmement important. A Gordes, au moment de l’application de la nouvelle réglementation, le pâturage représente la totalité des recettes forestières. Après une certaine baisse amorcée dès 1831, on retrouve à nouveau un poste de pâturage qui constitue la totalité de la recette forestière en 1840, 1841 et 1843. A Puyméras aussi, de 1827 à 1832, le pâturage est la seule rentrée forestière.
Certaines communes voient disparaître le pâturage forestier de façon très progressive, comme si les dirigeants, suivant les conseils de l’administration forestière, incitaient les particuliers à abandonner cette technique défavorable aux forêts. A Saint-Cannat, du milieu à la fin du XIXe siècle, ce poste a perdu 35,08 % de façon très progressive.
Pour d’autres communes au contraire, le pâturage forestier disparaît brusquement. A La Tour d’Aigues par exemple, de 1831 à 1840, le pâturage représente 76,25 % de la recette forestière et ultérieurement il n’est plus que de 24,70 %. Il semble qu’il faille plus retenir ici une prise de conscience rapide de la part des dirigeants municipaux plutôt qu’un contexte économique défavorable car les autres communes se trouveraient dans la même situation.
Dans les cas ci-dessus, le poste du pâturage forestier diminue considérablement, dans d’autres communes cette pratique est totalement abandonnée. A partir de 1847, après avoir accusé une baisse progressive, à Lacoste, le poste du pâturage forestier disparaît totalement. De 1827 à 1829, ce poste était essentiel car il représentait 42,80 % de la recette forestière et à peu près 10 % de la recette générale. A partir de cette année, le pâturage baissera progressivement et disparaîtra totalement. A Puyméras la situation est particulière puisque le pâturage est abandonné totalement de 1837 à 1884, repris pendant quatre années, de 1886 à 1889, avec des chiffres peu importants, et à nouveau abandonné.
Dans le contexte d’une simple baisse du poste du pâturage forestier, il faut noter que, très souvent, celle-ci intervient au milieu du XIXe siècle. Au début de l’application du Code, les habitudes, les nécessités imposaient la pratique du pâturage forestier. Le travail des agents de l’administration, les recommandations de cette dernière, le durcissement de la réglementation quant aux animaux destinés au commerce, la modification de la perception de la redevance, la possibilité de recourir à de nouvelles techniques pour nourrir les bêtes devaient conduire à une diminution du pâturage forestier vers les années 1850-1860.
Pour certaines communes, la disparition du pâturage forestier dut représenter une perte considérable. Si l’on considère la commune de Lambesc on s’aperçoit qu’il constituait l’essentiel des rentrées forestières : 92,38 % en 1843 et 93,33 % en 1861. A Gordes aussi la baisse a été importante puisqu’elle a représenté une diminution de 78,72 % de la recette forestière.
Le dommage est moins important pour les communes qui n’ont jamais attaché une grande place au pâturage forestier, sans qu’il soit possible d’invoquer l’absence de forêts, les chiffres des coupes ordinaires et extraordinaires prouvant le contraire. Il semble plutôt que les dirigeants aient axé leur politique financière forestière vers d’autres postes et les prévisions sont là pour appuyer ce raisonnement.
Pour bien mesurer la perte subie par les communes, on ne peut s’arrêter au poids du pâturage dans la recette forestière, il faut tenir compte aussi de la place de ce poste par rapport à la recette générale et la comparaison donne parfois des résultats étonnants. Ainsi, à Gordes, le pâturage forestier, si important dans la recette forestière, tient très peu de place dans la recette générale puisque pour l’ensemble de la période, il ne dépasse pas 2,98 %. Même lorsque le pâturage représentait la totalité de la recette forestière, il ne s’inscrivait que pour 3 ou 6 % dans la recette générale, chiffre tout à fait logique lorsqu’on sait que l’ensemble des forêts participaient pour 8,01 % sur l’ensemble de la période. Il faut comprendre que le budget de Gordes est très important et que les forêts participent peu à la vie de la commune. La place du pâturage dans les recettes forestières ne doit pas ici induire en erreur sur la place réelle de ces dernières dans le budget global. Gordes vit sans ses forêts, ce qui explique peut-être la disparition de ce poste. La situation de La Bastide-des-Jourdans est bien différente : au début, le pâturage tient une certaine place dans la recette générale avec 16 % environ, à la fin du XIXe siècle, il ne dépassera pas 3 %.
En réglementant le pâturage forestier, le Code demandait un sacrifice considérable aux populations qui devaient changer leur mode de fonctionnement, voire leur économie, aux communes qui devaient équilibrer de fragiles budgets sans cette ressource. Malgré l’ampleur du bouleversement, grâce au travail de persuasion de l’administration forestière, peut-être aidée par des problèmes économiques, l’objectif semble bien avoir été atteint puisque, sur l’ensemble des communes étudiées, une seule (Saint-Léger) n’a pas renoncé à laisser les moutons se nourrir dans les forêts.
Selon les propos de l’administration forestière, l’abandon, volontaire ou non, du pâturage forestier débouche obligatoirement sur une régénération de la forêt et donc, à terme, sur une augmentation des recettes forestières. Si l’on s’en tient aux dossiers contenus dans les fonds d’archives, il est difficile de mesurer l’exactitude de ces propos, les agents forestiers considérant que le retrait des moutons des forêts, en améliorant leur état, développe les autres postes forestiers, les communes ne voyant pas d’intérêt financier à cette suppression. Seule l’étude des comptabilités communales permet de trancher. Pour cela, les deux postes retenus sont les coupes ordinaires et extraordinaires, car tous deux sont liés directement au bon état de la forêt et aux besoins des communes puisque toutes, à des degrés divers, font procéder à ce type de coupes. Afin de déterminer si une augmentation de ces deux postes comblait la diminution occasionnée par la disparition du pâturage forestier, il est indispensable de s’attacher à la place occupée par ces coupes dans la recette forestière, dans la recette générale et enfin dans le budget global. Ainsi, il apparaît que certaines communes ont effectivement compensé la perte de recettes liées au pâturage par une augmentation des coupes (Bonnieux, Cassis, Ceyreste…), d’autres ont eu moins de chance et n’ont pu combler le déficit (La Tour d’Aigues…), enfin on notera que quelques communes ont développé d’autres postes pour maintenir la place des forêts dans la vie de la communauté.
Parmi les communes qui ont effectué une bonne compensation, il faut citer Lacoste avec le poste des coupes ordinaires. Les chiffres sont très importants jusqu’en 1850 et ensuite s’ouvre une grande période, de 1851 à 1881, avec seulement une coupe. Si le pâturage avait été très important on pourrait penser qu’il a dégradé les forêts, mais il n’a jamais atteint des sommes extraordinaires. Peut-on voir ici un trait de la volonté des dirigeants ? La prudence s’impose car, en 1860 notamment, ils espèrent que les coupes représenteront 86,96 % de la recette forestière alors qu’aucune coupe n’est réalisée. L’année suivante, ils espèrent 5,50 %, à nouveau sans succès. Dès lors, il faudra attendre 1882 pour qu’une coupe ait lieu, alors que les dirigeants n’avaient effectué aucune prévision en ce sens. Peut-on alors supposer que la commune manque de forêts ? Il serait tentant de répondre négativement si l’on ne s’attachait qu’aux chiffres. En effet, en 1849 et 1850, les coupes ordinaires représentent respectivement 99,95 et 98,30 % de la recette forestière avec, pour 1849, 43,11 % de la recette générale. Pour obtenir de tels chiffres, il faut supposer que les forêts existent, qu’elles sont en bonne santé, qu’elles sont suffisamment importantes, d’autant que les chiffres des années précédentes, s’ils sont moins spectaculaires, sont quand même considérables. C’est compter sans la connaissance des surfaces boisées et alors les conclusions sont bien différentes. La commune de Lacoste, en 1830, possède 180 hectares, et en 1857, il n’en reste plus que 138. Il faut donc comprendre que les dirigeants exploitent les forêts au maximum de leurs possibilités, allant jusqu’à enregistrer une diminution du patrimoine forestier de 23,33 %. Heureusement, vraisemblablement avec l’impulsion de l’administration, les responsables feront procéder à d’importants travaux de reboisement et en 1879, cette commune possèdera 205 hectares, soit une augmentation de 48,55 % de 1858 à 1879, mais seulement de 13,89 % de 1830 à 1879.
La bonne santé du poste des coupes ordinaires conduit à se demander s’il arrive qu’elles remplacent le pâturage dans les finances municipales. La prudence s’impose.
Si l’on prend le cas de Ceyreste, il semble que les deux postes soient complètement dissociés, l’évolution du poste des coupes étant trop rapide. De plus, quelques années mises à part, on peut considérer que le pâturage forestier n’a jamais constitué une véritable ressource pour Ceyreste et ce constat conduit à penser que cette commune, par calcul, par hasard ou par chance, a su éviter l’engrenage infernal : pâturage forestier/rentrées financières/dégradation de la forêt. Dans la mesure où Ceyreste n’a jamais accordé une place prépondérante à ses pâturages forestiers, les bois n’ont pas été dégradés, les coupes sont toujours très importantes et assurent des rentrées considérables que ne peuvent attendre les communes qui, n’ayant pas protégé leur patrimoine forestier, ne peuvent effectuer que de maigres coupes, insuffisantes pour assurer des finances intéressantes. Le pâturage devient alors obligatoirement un poste essentiel, engrenage dont il n’est possible de sortir qu’en consentant des sacrifices pendant plusieurs années, en attendant que la forêt se régénère.
Parmi les communes qui voient leurs revenus baisser sans pouvoir compenser le manque à gagner il faut citer Malaucène, cas très intéressant puisque la commune abandonne le pâturage et les coupes ordinaires et, dans ce cas, seule peut-être retenue la volonté des dirigeants, une prise de conscience de leur part étant d’ailleurs essentielle pour la protection du patrimoine forestier. En 1830, Malaucène était riche de 4.695 hectares. Il n’en restait plus que 821 en 1857, soit une baisse de 82,51 % ! Maintenir le pâturage et continuer les coupes ordinaires devait déboucher obligatoirement sur la disparition du patrimoine forestier. Ce sursaut a été salutaire puisqu’on compte 909 hectares en 1879, soit une augmentation de 10,72 % par rapport au chiffre précédent, mais si l’on prend les chiffres de 1830 à 1879, il ressort quand même que la forêt a perdu 80,64 % de sa surface. Cette commune exploitait imprudemment ses forêts, l’abandon à la fois du pâturage et des coupes s’inscrivait donc dans une politique de protection, certes tardive, mais peut-être efficace.
Enfin, une commune comme Bédoin a su développer d’autres postes forestiers. A la fin du XIXe siècle, les forêts participent pour 56,73 % à la marche générale de la commune alors que les principaux postes forestiers enregistrent des diminutions importantes. Pour expliquer de tels résultats, il faut comprendre que les dirigeants ont privilégié d’autres ressources non destructrices, dont celui du ramassage des truffes. A la fin du XIXe siècle, ce poste représente souvent la moitié de la recette générale de la commune et bien entendu les trois-quarts de la recette forestière. Sachant que la chasse est exploitée très modérément, on peut conclure que les postes qui dégradent la forêt sont mis en sommeil, et les dirigeants privilégient ceux qui sont très rentables sans inconvénient pour les arbres.
Riche d’enseignements, la comptabilité forestière montre tout d’abord qu’au fil des ans, le pâturage est abandonné ou considérablement réduit. La volonté seule des dirigeants municipaux n’explique pas cette mise en conformité avec le Code forestier. Un autre élément doit être pris en compte : l’industrie du pâturage est en baisse régulière. Le mouton d’Algérie fait une concurrence ruineuse au métis mérinos transhumant dont le nombre diminue régulièrement. Les moutons provençaux ont à peu près complètement disparu des forêts de la Basse-Provence, leur nombre a très sensiblement baissé dans la région moyenne et en Haute-Provence. Si l’on s’attache à la restauration des terrains de montagne, à la protection du patrimoine forestier, on ne peut que se réjouir. Mais lorsqu’on examine de près l’état besogneux des populations, on est en droit de s’interroger et de s’inquiéter sur les conditions de vie des habitants[22]. Il fut un temps où ce capital de production qu’était le mouton convenait admirablement à cette région en voyageant seul, en franchissant lentement, mais sans s’arrêter jamais, les plus longues distances sur les routes tracées, ou bien en suivant ces drayes et carraires établies de temps immémorial, ou concédées par des chartes spéciales des comtes de Provence et de Forcalquier, à des époques lointaines ; puis il descendait dans la Basse-Provence et se portait de lui-même jusqu’aux lieux de consommation, sur les marchés d’Aix, d’Arles, de Marseille et Toulon. Mais les laines d’Australie, le mouton d’Afrique et la création des prés-salés, plus encore que toutes les lois et règlements, ont porté un rude coup à l’industrie de l’élevage.
A la fin du XVIIe siècle, l’homme se trouvait devant cette alternative : sacrifier les bois pour sauver le troupeau ou sacrifier le troupeau pour sauver les bois. A la fin du XIXe siècle, une partie du troupeau a été sacrifiée pour respecter la volonté de l’administration forestière, l’autre partie a été victime de la concurrence.
Désormais, les forêts n’auront plus à affronter les pattes et les dents des moutons. Aidée par la conjoncture, l’administration a fini par imposer l’article 110 du Code. Même si quelques recettes sont encore enregistrées par les comptabilités municipales, il est clair que l’évolution ira vers une disparition totale de ce poste forestier.
Aidée par la conjoncture, l’administration forestière a gagné facilement son combat contre les agriculteurs, face aux chasseurs, le problème devait être plus complexe.
B – DROIT DE CHASSE
La réglementation concernant la chasse n’est pas l’œuvre du Code forestier. Les mesures applicables en 1827 sont contenues dans les arrêtés du 28 vendémiaire an V (1797) et 19 ventôse an X (1802) , complétés par un décret du 25 prairial an XIII (1805) qui permet aux communes d’affermer le droit de chasse dans leurs forêts. L’exercice de la chasse lui-même sera suspendu à l’obtention d’un permis de port d’armes de chasse, conformément à l’article 2 de l’arrêté du 14 juillet 1837. L’autorisation payante délivrée par la préfecture, valable pour une année, sera renouvelable sur demande.
Donc, avant la loi de police de 1844, les chasseurs parcourent les forêts communales soumises au régime forestier librement et gratuitement, pourvu qu’ils soient munis d’un permis. A partir de cette date, l’administration, en imposant la vente du droit de chasse, déclenche une opposition dont la virulence et la généralisation étonnent, et au fil des années, malgré la permanence des protestations, l’administration tente de faire respecter la loi en usant d’arguments que les communes réfutent avec brio.
Parmi ceux-ci, pour les deux parties, il apparaît que les finances municipales sont une préoccupation première, même si les objectifs diffèrent, même si les communes ne sont pas toujours de bonne foi.
En réalité, le premier objectif de ces dernières n’est pas de s’enrichir mais de permettre à tous les habitants de chasser gratuitement et librement dans les forêts soumises ou non au régime forestier. Il semble aux dirigeants municipaux que l’amodiation du droit de chasse est une confiscation d’un droit durement acquis au fil des ans. En conséquence, la richesse de quelques-uns ne peut s’inscrire contre la liberté de tous et le fait que le laxisme puisse ici être facteur de destruction de la forêt n’est pas un argument digne d’être pris en compte.
- Exploitation du droit de chasse dans les forêts communales avant 1871
Aux termes du décret du 25 prairial an XIII et conformément à l’ordonnance du 1er août 1827, les maires ont le droit d’affermer la chasse dans les forêts communales soumises au régime forestier[23].
Les heurts entre les communes et l’administration des forêts sont nombreux[24]. Souvent cette dernière estime que la mise à prix ne peut être inférieure à un certain montant alors que les dirigeants municipaux trouvent de nombreux arguments pour réfuter ce chiffre. Cette opposition conduit à se demander comment les communes ont accueilli la loi de 1844.
Il faut bien comprendre que mettre la chasse en ferme c’est opérer une confiscation absolument intolérable. Selon les pratiques antérieures, tout individu propriétaire d’un fusil pouvait arpenter les forêts communales. Sans entrer dans l’histoire des mentalités, sans rappeler les vieux souvenirs seigneuriaux, il est évident que les chasseurs ne vont pas se laisser évincer sans réagir.
En fait, si quelques communes acceptent le système de l’amodiation du droit de chasse, la majorité d’entre elles est plutôt récalcitrante et cela dès les premières années.
Quant aux particuliers, ils savent faire preuve d’imagination pour échapper à la réglementation, notamment en recourant aux ententes. Au moment de l’adjudication, il suffit qu’un chasseur du pays se porte adjudicataire et tous les autres chasseurs jouissent ensuite de la faculté de chasser en payant leur quote-part du prix de la ferme. La concurrence souhaitée par l’administration forestière devient alors illusoire, de même que son espoir de protéger les forêts en limitant le nombre de personnes les parcourant.
Pour défendre le système de la ferme de la chasse, l’administration évoque volontiers la protection de l’environnement, donc celle du gibier. C’est supposer qu’un seul fermier, même s’il est entouré de quelques amis, ne commettra pas autant de dégâts que l’ensemble de la population. Il est possible que ce raisonnement soit exact dans certains cas, mais certaines communes, dont Aix-en-Provence, feront l’expérience contraire.
Pour mesurer la place que tenait la chasse dans le budget des communes, les revenus liés à ce poste ont été comparés à l’ensemble des recettes forestières. Que celles-ci soient importantes, cela signifie soit que les forêts sont riches en surface ou en produits, soit que les postes sont exploités au maximum, et une comparaison entre les périodes permet de saisir la façon dont était géré le poste si controversé de la chasse. De plus, sera indiquée la place qu’occupent les forêts dans le budget général car cette information permet de mesurer l’importance des communaux boisés dans des finances municipales souvent très fragiles.
Les vingt communes choisies se répartissent en quatre groupes : celles pour lesquelles la chasse et les recettes forestières sont deux postes très importants, celles où la chasse joue un rôle considérable alors que les recettes forestières tiennent une faible place dans le budget général, celles qui ne peuvent compter sur la chasse mais pour lesquelles les revenus liés aux forêts sont importants, et enfin celles pour lesquelles la chasse est un poste nul, de même que les recettes forestières.
Pour une seule commune, Allauch, la chasse est un poste important et les recettes forestières tiennent une place considérable dans le budget. La chasse est essentielle puisqu’elle représente 74,79 % des recettes forestières. Comme dans le même temps les forêts participent pour 25,88 % au budget général, il est certain que les forêts sont riches et très exploitées. Des vingt cas étudiés, Allauch est la seule municipalité où recettes forestières et recettes liées à la chasse sont aussi importantes : ou bien les chasseurs achètent beaucoup de permis, ou bien la ferme est achetée très cher, mais c’est le seul cas semble-t-il où la chasse ne soit pas à peu près gratuite là où les forêts tiennent une place importante dans le budget de la commune.
Pour neuf communes, le poste de la chasse est important alors que les recettes liées aux forêts sont assez faibles[25]. Le chiffre élevé de ce poste laisse supposer à la fois une volonté d’exploitation par les gestionnaires et un bon accueil par les chasseurs, qu’il s’agisse de simples perceptions sur les permis ou d’amodiation du droit de chasse.
A l’inverse, sept communes ne peuvent compter sur le poste de la chasse alors que les revenus liés aux forêts sont considérables[26]. De toutes les communes étudiées ici, Gémenos est celle dont les forêts contribuent le plus au fonctionnement de la communauté puisqu’elles représentent 63,66 % du budget général. C’est donc une commune dont les forêts sont riches et très exploitées, et, assez logiquement, la chasse est un poste à peu près nul puisqu’il ne représente que 5,18 % des recettes forestières. Il est clair que la commune privilégie d’autres postes pour assurer des rentrées importantes. Il semble que Gémenos surexploite ses forêts, sauf dans le domaine de la chasse, ce qui correspond au contexte et à la mentalité.
La commune de Roquefort confirme l’opposition : ou bien les forêts contribuent largement aux dépenses municipales et les chasseurs chassent à peu près gratuitement, ou bien les forêts sont insuffisantes pour améliorer la vie des habitants de la commune et alors les chasseurs qui ne peuvent échapper à la réglementation assurent des revenus généralement assez élevés.
Enfin, trois communes de Vaucluse[27] ont la particularité de ne pouvoir compter sur leurs forêts.
Avec une végétation sensiblement identique, la situation dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse est assez dissemblable. Dans les Bouches-du-Rhône, la place des forêts dans le budget des communes et la place de la chasse dans les recettes forestières sont beaucoup plus importantes que dans le Vaucluse. Comme il ne semble pas que les communaux boisés soient beaucoup plus riches dans un département que dans l’autre, il semble plutôt qu’il faille déduire des chiffres que les gestionnaires des communes des Bouches-du-Rhône exploitent davantage les forêts qu’ils possèdent, cela correspond à la mentalité qui ressort des correspondances dépouillées et à l’opposition concernant la soumission au régime forestier. Les communes des Bouches-du-Rhône comptent sur leur patrimoine forestier pour financer des travaux comme la réparation des églises, la construction des lavoirs… autant d’améliorations que les revenus classiques ne peuvent réaliser. Plus les communes se développent, plus les investissements sont lourds, plus les comptables doivent solliciter les richesses naturelles avec le risque d’empêcher leur développement, avec le risque de les voir disparaître un jour.
L’administration forestière souhaitait interdire à qui que ce soit la possibilité de chasser dans les forêts soumises au régime forestier partout où ce droit n’était pas affermé, c’était compter sans l’opposition des chasseurs et des administrateurs municipaux. Si l’on ajoute à cela que l’amodiation confisque la chasse traditionnellement populaire et rurale au profit d’un petit nombre de nantis venus de la ville, on comprend mieux leur acharnement à s’opposer à cette réglementation.
- Défense des principes de liberté et de gratuité de la chasse par les communes
La limitation du droit de chasse s’inscrivant dans une politique plus vaste de contrôle des communaux boisés, il est certain, parce que la réglementation concernant le pâturage, les coupes ordinaires et extraordinaires… a soulevé de vives protestations, que l’administration forestière n’a pas été étonnée de l’opposition soulevée par l’obligation d’affermer le droit de chasse. Par contre, la durée de la rébellion l’a sans doute surprise, de même que l’inutilité de la sanction, c’est-à-dire l’interdiction de la chasse en cas de refus d’amodiation.
Une telle permanence dans la résistance ne peut être ignorée par les autorités et l’administration forestière est obligée de reconnaître que la comptabilité des communes rurales éloignées des sièges de brigades de gendarmerie montre que le produit des permis de chasse est très inférieur à ce qu’il devrait être d’après la moyenne proportionnelle présumée des chasseurs. Parfois, comme il est à peu près nul, l’administration conclut que beaucoup de chasseurs se soustraient à la réglementation. Ils connaissent parfaitement les lieux et comptent sur l’éloignement des autorités de surveillance.
Amers, les agents forestiers remarquent que cette liberté constitue un grave préjudice pour le trésor et pour les communes, mais surtout ils soulignent la tolérance ou la complaisance de certains gardes champêtres qui devraient justement veiller au respect de la loi en verbalisant contre les chasseurs trouvés en contravention. Certes, en cas de corruption ou de concussion, ils doivent être immédiatement déférés aux tribunaux, mais n’est-ce pas illusoire ?
Il faut alors se rendre à l’évidence et, en 1862, l’administration forestière reconnaît que la mise en adjudication ne rencontre pas toujours des amateurs disposés à payer le droit à son juste prix. Par ailleurs, les conseils municipaux demandent toujours le droit de laisser chasser avec seulement un permis, ce qui suppose l’abandon de la protection du gibier et l’admission de la contradiction avec la loi, même si la commune enregistre des rentrées importantes.
L’administration est alors obligée d’admettre qu’une telle lutte et qu’une telle violation ne peuvent se poursuivre plus longtemps, aussi propose-t-elle une solution pour concilier le goût et les habitudes des chasseurs avec les exigences du régime forestier et assurer un bon revenu aux communes, combinaison qui, essayée dans un département voisin, a donné des résultats satisfaisants et obtenu un plein succès, c’est-à-dire a rencontré l’adhésion des chasseurs.
Un registre est ouvert à la mairie, sur lequel vient se faire inscrire tout habitant muni d’un permis de chasse et s’engageant à verser à la caisse municipale une somme fixée par le conseil. Le maire délivre une carte sur laquelle le percepteur constate le versement de la somme fixée. Cette carte, visée par le chef du cantonnement, devient un permis de s’introduire dans la forêt communale.
Dans le département de Vaucluse, à partir de 1871, le principe de la taxe est bien établi. Moyen de remplacer le fermage et de sauvegarder les intérêts financiers de la commune, elle doit être prélevée sur tous ceux, sans exception, qui désirent jouir du droit de chasse.
L’administration forestière n’a pu poursuivre sa politique en matière de chasse. Cependant, pour les communes, il ne s’agit pas d’une victoire totale et les conseils municipaux en sont bien conscients. Ils défendaient deux principes : la liberté et la gratuité de la chasse. Ils ont obtenu la liberté, l’administration a fait abandonner l’idée de gratuité.
L’argument des uns et des autres concernant très souvent les finances municipales, une vérification s’impose : l’administration avait-elle raison en prétendant, avant 1871, que l’amodiation était le meilleur moyen de combler les caisses communales ? Les conseils municipaux disaient-ils la vérité lorsqu’ils prétendaient que le fermage faisait baisser ces mêmes revenus ?
De 1868 à 1871, les communes vivent un système de transition. L’administration forestière, en admettant que le système du fermage ne donne pas satisfaction aux élus locaux, leur permet de percevoir, en plus du droit sur les permis, une somme fixe, identique pour tous les chasseurs. Pendant cette période, il est assez peu vraisemblable que les deux systèmes cohabitent, sauf lorsque les contrats signés antérieurement se poursuivent. Sinon, les communes abandonnent (en supposant qu’elles aient vraiment recouru à l’amodiation) un système et mettent en place un nouveau mode de perception qui nécessite quelques tâtonnements débouchant sur une augmentation ou une diminution des revenus liés à la chasse.
Quatre communes sur dix-huit[28] enregistrent une augmentation de leurs revenus de chasse pendant cette période intermédiaire et il faut d’ailleurs souligner qu’ils sont nettement supérieurs dans le département des Bouches-du-Rhône.
La nouveauté de la réglementation à Lambesc soulève un enthousiasme certain puisque les droits de chasse s’élèvent à 60,63 % des recettes forestières. Dans ce cas, l’amodiation contribuait bien à brider les recettes communales.
La situation de Cassis est encore plus intéressante. Les revenus liés à la chasse par rapport à la recette forestière s’élèvent à 22,63 %, donc ils doublent. Les chasseurs, ravis de retrouver leurs fusils et leurs chiens, paient le droit sur les permis et le droit de chasse, démontrant ainsi que les communes protestataires avaient raison lorsqu’elles prétendaient que l’amodiation de la chasse diminuait considérablement les revenus de la commune, mais un autre argument doit ici être envisagé : la facilité. Avec le système de l’amodiation, il fallait établir un cahier des charges, consulter les autorités supérieures, échanger des courriers, organiser les enchères, déterminer une mise à prix… autant de formalités qui ne sont peut-être pas très compliquées, sauf pour des élus peu convaincus de l’utilité de la chose ! Avec le nouveau système, il suffit d’attendre que les chasseurs viennent se faire inscrire, de percevoir un droit et d’établir une carte, ce qui est effectivement plus simple.
Pour les quatorze communes qui enregistrent une diminution[29], il est difficile de savoir si elles ont continué à appliquer le système du fermage ou si elles ont perçu un simple droit de chasse, cependant on peut penser que la variation, surtout lorsqu’elle est importante, est significative d’une modification.
Le fait qu’il y ait plus de communes enregistrant une diminution qu’une augmentation montre assez que pendant ces quatre années, les élus ont abandonné un système qui semblait odieux aux chasseurs, pour adopter celui plus souple admis dorénavant par l’administration forestière.
Tout le monde attendait une nouvelle réglementation, dès que celle-ci peut être appliquée, la ferme est abandonnée et si ce n’est la gratuité, au moins un prix très bas est pratiqué, montrant ici que l’administration forestière et les communes tiennent deux discours opposés, qui parfois ne sont pas exempts de confusion.
La première, en évoquant des finances municipales mieux assurées avec la mise en ferme de la chasse, la protection des forêts favorisée par la limitation du nombre d’intrus qui la parcourent, ignore que pour certaines communes l’amodiation n’est peut-être pas le meilleur système et que la volonté de destruction de quelques personnes soucieuses de récupérer leur mise peut être très dangereuse pour le gibier et la forêt.
Les secondes, en ignorant superbement ces deux arguments fortement marqués du coin de la nécessité, défendent le plaisir de chasser librement et gratuitement et acceptent sans état d’âme que la communauté entière finance l’agrément de quelques-uns.
L’assouplissement de la réglementation à partir de 1867 est un échec pour l’administration forestière qui espérait limiter la chasse dans les forêts communales soumises, mais ce poste occupait une telle place dans la vie d’une grande partie de la population que le recours à un mode commercial, par opposition au mode communautaire, était de nature à susciter des troubles que personne ne souhaitait, qu’il s’agisse de l’administration forestière ou des élus locaux.
Les chiffres réalisés pendant les années 1868 à 1871, période de transition, montrent que l’attitude de l’administration forestière a perturbé considérablement les finances municipales. Il reste à vérifier si à partir de 1872, lorsque les communes auront trouvé de nouveaux repères, lorsque les chasseurs auront admis que leur passion ne pourrait plus jamais être exercée de façon totalement gratuite, qui de l’administration ou des communes protestataires avait raison.
Neuf communes enregistrent une augmentation de leurs revenus liés à la chasse[30], et onze une diminution relativement peu importante[31], sauf à Allauch et Malaucène.
La commune de Malaucène, en choisissant d’abandonner le système de la ferme, accepte de supporter une baisse de ses revenus pourvu qu’elle donne satisfaction à une partie de ses administrés. Ce choix de gestion doit être assez populaire puisque les forêts, tous postes confondus, à la fin du XIXe siècle, représentent 13,07 % du budget général, soit une augmentation de 4 % environ. Selon les observations de l’administration forestière, d’une manière générale, le poste de la chasse est préjudiciable au bon développement de la forêt. Sans affirmer que c’est exactement le cas de cette commune, il faut cependant rappeler que de 1830 à 1879 elle a perdu 3.786 hectares[32]. Le choix d’un système communautaire pour l’exploitation de ce poste n’était peut-être pas très judicieux, mais ici le problème ne se pose pas en ces termes.
Parmi les neuf communes qui enregistrent une augmentation de revenus avec l’application du nouveau système, quatre d’entre elles réalisent des chiffres sensiblement identiques[33]. Saint-Cannat et Cassis par contre attirent l’attention avec 18,97 et 17,45 % d’augmentation.
Lorsque l’administration forestière permet aux communes de renoncer à l’amodiation de la chasse, elle estime qu’en ne percevant que des droits simples, elles verront leurs recettes diminuer considérablement. Les communes prétendent quant à elles que la liberté engendrera la vente de nombreux permis et donc la perception de droits importants. Les chiffres présentés ci-dessus montrent que les deux parties étaient dans l’erreur.
En ce qui concerne les communes qui accusent une baisse spectaculaire, comme il faut écarter Aix et Aubagne en raison de l’état de leur comptabilité, il ne reste que Malaucène et Allauch. Pour les communes qui enregistrent une hausse considérable, on ne peut citer que Cassis et Saint-Cannat. Pour les quatorze communes restantes, les chiffres sont sensiblement identiques, mais on peut aisément imaginer ce qu’ils auraient été si l’administration avait accepté le principe de gratuité. Il faut ici saluer la vigilance de l’administration forestière et apprécier son rôle dans l’équilibre des finances municipales.
Dans les départements des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse, la politique de l’administration forestière devait obligatoirement, sous la pression des communes, s’orienter vers un assouplissement de la réglementation. Alors qu’en matière de soumission au régime forestier, de constructions dans le périmètre prohibé, de limitation du pâturage l’administration réussit à imposer une politique de protection forestière, le poste de la chasse devait se montrer beaucoup plus complexe.
L’administration forestière poursuivait un double objectif : protéger les forêts et assurer des rentrées suffisantes dans les caisses municipales. Les communes poursuivaient aussi un double objectif : assurer la liberté et la gratuité de la chasse. Le seul point de contact entre les deux concernait les finances, avec un objectif cependant différent.
Opposition soulevée par la réglementation, mauvaise volonté des communes, manque d’acquéreurs de fermes conduisent l’administration à abandonner son premier objectif. Pour satisfaire des impératifs électoraux notamment, elle admet que toutes les personnes munies d’un permis de chasse parcourent les forêts, mais elle impose la perception d’un droit spécial. De leur côté, en préservant le principe de la liberté de la chasse, les communes abandonnent celui de sa gratuité.
Si l’on ne s’attache qu’à la protection des forêts, il est évident qu’à l’issue du combat celle-ci n’était plus assurée comme l’espérait l’administration et cela fut certainement très durement ressenti par les agents forestiers. Il suffit de se reporter aux demandes de constructions de postes à feu dans le périmètre prohibé dans les Bouches-du-Rhône pour s’assurer que celles-ci sont autorisées beaucoup plus fréquemment que dans la première moitié du XIXe siècle. Cependant, bien que la volonté de l’administration forestière de protéger les forêts s’amoindrisse considérablement, on ne peut évoquer un échec total puisque le principe de gratuité n’est pas retenu.
En ce qui concerne les communes, la victoire ne fut pas totale. Certes, elles retrouvèrent le droit de chasser librement, mais les chasseurs furent obligés d’acquitter un droit particulier.
Il ressort des chiffres ci-dessus que les arguments financiers des uns et des autres ne sont pas vérifiés. L’administration prétend que la fin de l’amodiation provoquera une baisse considérable des revenus. Pour la majorité des communes, les cas de diminution spectaculaire sont exceptionnels. Ces dernières assurent que la liberté de la chasse permettra la vente de nombreux permis. La majorité d’entre elles enregistre plutôt une diminution.
Il est difficile ici de raisonner en terme de victoire ou de défaite car, à travers les finances, l’administration comme les communes défendent d’autres intérêts : la première recherche la protection des forêts, les secondes défendent leur identité et un certain sens de l’équité.
Conclusion
L’article 90 du Code forestier apparaît comme une mesure indispensable, chacun étant conscient du double problème à régler : nécessité de conserver les forêts pour les générations futures, suppression des abus de jouissance qui justement peuvent conduire à leur perte.
Lorsqu’en 1827 le Code ouvre une brèche dans la réglementation asservissante, de nombreuses communes tentent d’échapper à une administration forestière pesante qui veille et essaie par tous les moyens d’imposer la soumission au régime forestier. Ce danger est perçu immédiatement : si les habitants doivent respecter les attributions de l’administration forestière, celle-ci doit se souvenir que la loi lui a confié la conservation des bois des communes dans l’intérêt des habitants. Le plus souvent, les conseils municipaux ont le sentiment d’être dépossédés d’une de leurs principales attributions, et les habitants d’être livrés à l’arbitraire d’une administration étrangère.
Les articles 151 et suivants du Code jouissent quant à eux d’un statut très particulier. Certes le droit de propriété des riverains est restreint, mais l’administration a su, chaque fois que cela lui semblait nécessaire, appliquer avec souplesse des mesures qui auraient pu être très mal perçues. En comprenant les besoins des agriculteurs, en tolérant une présence proche de la forêt, en admettant le côté bénéfique dans certains cas d’individus capables de donner l’alerte, l’administration a protégé les communaux boisés et facilité la vie des populations forestières.
Le problème est fort différent en matière de pâturage. La réglementation s’inscrit alors dans une politique forestière qui indispose grandement les communes boisées provençales mais, si l’administration est bien chargée par le législateur d’assurer la protection du patrimoine forestier communal, il n’est cependant pas dans les intentions du gouvernement que la mise en application du nouveau Code conduise à un état qui pourrait mécontenter et porter atteinte justement à la survie des habitants des régions déshéritées. D’où la dérogation introduite par l’alinéa 3 de l’article 110, parfaitement justifiée en Provence où les prairies naturelles ne nourrissent qu’un petit nombre d’animaux, qui ne peut cependant, par son indispensable nécessité, faire oublier que les agriculteurs doivent être conscients de son caractère nuisible, l’objectif final étant qu’un jour le pâturage forestier ne soit plus qu’un souvenir. Or, au fil des ans, l’exception est devenue la règle et les arguments avancés ne peuvent être ignorés. Malheureusement, c’est aussi dans ces régions que les pâturages forestiers sont le plus fragiles.
Face à ce conflit d’intérêts, aidée vraisemblablement par le contexte économique, l’administration a recours à deux moyens pour obtenir la diminution (en attendant la disparition) du pâturage forestier. Elle propose tout d’abord l’extension des prairies naturelles et artificielles par l’utilisation ou la création de nouveaux canaux d’irrigation. Une telle mesure diminue le nombre des moutons en forêt, augmente leur élevage en bergerie, permet de récolter ensuite l’engrais si utile pour améliorer la qualité de la terre. Il est vraisemblable qu’en Provence ces techniques ont connu quelque succès, mais le climat n’a sûrement pas permis de donner une extension considérable à ces nouveaux moyens d’alimentation des animaux. Ensuite, à une date difficile à déterminer, elle s’oppose à l’introduction des troupeaux destinés au commerce et en 1870 le doute n’est plus permis : non seulement les propriétaires de troupeaux étrangers à la commune, comme les bouchers de Marseille, ne peuvent plus accéder aux pâturages forestiers, mais de plus est soulignée l’opposition existant entre « l’intérêt immédiat de l’agriculteur et son désir de spéculation ». Il semble qu’il faille prendre ces propos avec prudence. Si effectivement il se trouve quelques propriétaires de troupeaux plutôt nantis qui, moyennant finance, profitent de l’alinéa 3 de l’article 110, une telle mesure pénalise surtout ce qui semble être la majorité, des petits propriétaires qui élèvent leurs moutons, plus quelques bêtes pour le commerce de la viande et de la laine et qui, d’une manière générale, n’usent pas de la totalité de leur droit, le nombre de bêtes conduites au pâturage étant souvent inférieur à la quantité autorisée. A la fin du XIXe siècle, l’administration ne permet plus que l’introduction des moutons appartenant à de petits agriculteurs, leur conservant ce qui est indispensable à la survie, leur retirant ce qui leur permettait d’améliorer des conditions de vie déjà fort rudes.
En ce qui concerne la chasse, le problème est plus complexe. Les communes défendent leur identité si l’on admet que le système de l’amodiation privilégie les citadins. Comme les habitants les plus proches de la forêt peuvent rarement payer le prix de la ferme de la chasse, les acquéreurs sont souvent issus de la ville voisine. Dans ce cas, le combat des communes rurales procède de leur volonté de s’opposer à la confiscation de leurs forêts par la ville. De plus, il est évident que le système de la ferme privilégie les nantis au détriment des plus pauvres. Conjugués, ces deux arguments expliquent que les communes, et derrière elles les électeurs chasseurs, refusent de livrer leurs forêts aux plus riches d’une manière générale, qu’ils soient de la commune ou de la ville la plus proche.
La chasse est l’affaire de tous et doit le rester, l’administration forestière, pour n’avoir pensé qu’en terme de protection, pour avoir ignoré cette conquête révolutionnaire, pour n’avoir pas considéré à quel point les paysans y étaient attachés devait obligatoirement déclencher des réactions humaines échappant totalement à la logique de l’administration et du droit.
Toutes les mesures de protection et d’amélioration mises en place par le Code forestier devaient permettre à la forêt provençale de se régénérer. Pour apprécier l’efficacité de ces dispositions, donc pour connaître l’état des forêts, passer par la connaissance de leurs revenus est une bonne méthode. Il apparaît alors, selon les dires des communes, que les forêts particulières sont fréquemment plus productives car exploitées par jardinage, ce que ne peut assurer l’administration forestière. Les plus extrémistes pensent même que dans le Midi, celle-ci devrait perdre la gérance directe des bois dans laquelle elle est impuissante, pour ne garder qu’une action de surveillance qui pourrait être utile.
Bien entendu, l’analyse de l’administration forestière est tout autre : les bois sont rabougris à cause de l’exploitation irrégulière et de la liberté complète de parcours et de jouissance qu’y possèdent les riverains. Dans les cas les plus graves, seuls une exploitation et un aménagement réguliers peuvent permettre un repeuplement normal assez rapidement et donc des ressources appréciables pour les communes propriétaires.
Un autre aspect du problème doit encore être mis en lumière : la façon dont sont perçues les forêts par la population. Pour une partie, elles sont une charge si elles ne s’inscrivent pas suffisamment dans les recettes de la commune, pour l’autre, elles sont non seulement source de vie, mais trop souvent source de survie et un point doit être souligné. Lorsque le Code réglemente l’usage des forêts, lorsqu’il interdit le pâturage des chèvres, il chasse des bois communaux des individus qui viennent grossir les rangs des citadins, et les installations municipales qui suffisaient jusque-là demandent des travaux, la salubrité devient un problème urgent et les forêts sont une source naturelle de financement.
S’il est clair dans un premier temps que la volonté du plus grand nombre est de participer directement aux ressources forestières, la réglementation provoque un déplacement d’intérêt et à la fin du XIXe siècle, ce sont les citadins qui s’intéressent aux forêts, non pour les ressources qu’elles procurent directement, mais pour leur contribution aux finances municipales et si celle-ci est jugée insuffisante, pour le produit de leur vente.
Un autre mode de vie se met en place qui marque la fin d’une certaine économie de subsistance. Reprenant la définition de G.F. Albert[34], il faut comprendre qu’on assiste à la disparition progressive des biens de deuxième catégorie, les forêts devenant une simple ressource municipale, c’est l’augmentation des biens patrimoniaux et la disparition lente des biens communaux.
[1] Loi du 21 mai 1827, promulguée le 31 juillet suivant.
[2] L’aménagement est « l’art de diviser une forêt en coupes successives et de régler l’étendue et l’âge des coupes annuelles, dans le plus grand intérêt de la forêt, de la consommation en général, dans celui enfin du propriétaire… ».
[3] L’exploitation régulière implique la possibilité de tirer annuellement un revenu de ces mêmes bois, au moins équivalent à leurs frais d’entretien.
[4] Ordonnance réglementaire du 1er août 1827.
[5] DUMOULIN (J.), « L’article 90 du Code forestier de 1827 et les communaux boisés en Provence », dans Forêt Méditerranéenne, Marseille, tome XIII, n° 2, avril 1992, p. 96-108.
[6] Pour les départements de Vaucluse et des Alpes de Haute-Provence, il est rare de trouver des correspondances très hostiles aux forestiers alors que dans les Bouches-du-Rhône elles sont extrêmement nombreuses et leur virulence est parfois surprenante. Pour le Var, les dossiers n’ont pas été conservés.
[7] Aujourd’hui L 151 et suivants.
[8] DUMOULIN (J.), La protection du sol forestier en Provence et en Dauphiné dans le Code forestier de 1827 (1827 – 1900), Centre de recherche d’histoire économique, sociale et institutionnelle, Université des Sciences Sociales de Grenoble, 1986, 88 p.
« Les constructions à distance prohibée en Provence et en Dauphiné dans le Code forestier de 1827 (1827 – 1900) >>, dans Forêt Méditerranéenne, tome IX, n° 1, août 1987, p. 75 à 81.
[9] Sauf l’article 153 qui prévoit seulement la démolition.
[10] Dans le Briançonnais, à la fin de la monarchie de Juillet (1848), le total des amendes payées annuellement par les habitants pour des délits forestiers était supérieur à l’ensemble des impôts versés à l’Etat.
[11] Baudrillart J.J., Code forestier précédé de la discussion aux chambres et suivi de l’ordonnance réglementaire, avec un commentaire des articles du Code et de l’ordonnance, Arthus Bertrand, Paris, 1827, 2 volumes, tome I, p. 87.
[12] DUMOULIN (J.), « Budgets communaux et gestion forestière (l’exemple du département de Vaucluse de 1827 à 1900) », dans Mémoires de la Société pour l’Histoire du droit et des Institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, 48ème fascicule (1991), p. 7 à 108.
« Gestion forestière en Vaucluse au XIXe siècle », dans Etudes Vauclusiennes, n° XLIX, janvier-juin 1993, p. 19-22.
[13] Il est communément admis que la forêt offre trois types de ressources aux communautés paysannes. D’abord, la cueillette de denrées alimentaires telles les asperges sauvages, les champignons, les plantes aromatiques, le ramassage du bois mort pour les besoins domestiques principalement et la récupération des feuilles, de l’humus, des produits de débroussaillage qui est un moyen pour les plus pauvres d’engraisser la terre. La seconde ressource concerne le bois pris pour le chauffage, la construction ou l’outillage agricole. Enfin, la dernière ressource est liée à l’élevage.
[14] LIZERAND (G.), Le régime rural de l’Ancienne France, Paris, Presses Universitaires de France, 1942, 190 p., p. 99.
[15] Article 110 : « Dans aucun cas et sous aucun prétexte, les habitants des communes et les administrateurs ou employés des Etablissements publics ne peuvent introduire ni faire introduire dans les bois appartenant à ces communes ou Etablissements publics, des chèvres, brebis ou moutons … ».
Alinéa 3 : « Toutefois le pacage des brebis et moutons pourra être autorisé dans certaines localités par des ordonnances spéciales de Sa Majesté ».
[16] DUMOULIN (J.), « Communes et pâturage forestier en Provence au XIXe siècle », dans Provence Historique, fascicule 181, 1995, p. 351 à 384.
« Communes et pâturages forestiers au XIXe siècle : le témoignage des comptabilités communales », dans Provence Historique, fascicule 183, 1996, p. 57 à 96.
[17] Décret du 17 nivôse an 13 (7 janvier 1805) : « Les droits de pâturage et de parcours dans les bois et les forêts appartenant soit à l’Etat et aux établissements publics soit aux particuliers, ne peuvent être exercés par les communes ou les particuliers qui en jouissent en vertu de leurs titres ou des statuts et usages locaux que dans les parties de bois qui auront été déclarés défensables conformément aux article 1 et 3 du titre 19 de l’ordonnance de 1669 et sous les prohibitions portées sur l’article 13 du même titre ».
[18] CAPPEAU (L.J.J.), Traité de la législation rurale et forestière, Marseille, imp. A. Ricard, 1824-1825, 3 volumes, in-8°, tome I, p. 132, n° 9.
[19] « Chaque année, avant le 1er mars pour le pâturage, et un mois avant l’époque fixée par l’administration forestière pour l’ouverture de la glandée et du panage, les agents forestiers feront connaître aux communes et aux particuliers jouissant des droits d’usage les cantons déclarés défensables, et le nombre des bestiaux qui seront admis au pâturage et au panage.
Les maires seront tenus d’en faire la publication dans les communes usagères ».
[20] Aix, Allauch, Aubagne, Cassis, Ceyreste, Gémenos, Lambesc, Roquefort, Saint-Cannat et Saint-Chamas.
[21] Bédoin, Bonnieux, Gordes, La Bastide-des-Jourdans, Lacoste, La Tour-d’Aigues, Malaucène, Puyméras, Saint-Léger et Saint-Roman.
[22] ALLARD (F.), Les forêts et le régime forestier en Provence, thèse pour le doctorat, Université d’Aix-Marseille, Faculté de droit (ès-Sciences politiques et économiques), Paris, Librairie Nouvelle de Droit et de Jurisprudence, Arthur Rousseau, éditeur, 1901, VIII-247 p., p. 220 et suivantes.
[23] Décret du 25 prairial an XIII (14 juin 1805) ; circulaire A 470 ; loi du 18 juillet 1837 dans ROUSSET (A.) et BOUER (J.), Dictionnaire général des forêts, Digne, imprimerie Chapsoul…, 1894, 2ème édition, 2 volumes, t. I, p. 281, n° 89.
[24] DUMOULIN (J.), « Droit de chasse, forêts communales soumises au régime forestier et finances municipales en Provence (L’exemple des départements des Bouches-du-Rhône et de Vaucluse de 1827 à 1900) ». Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des Institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, volume 54 (1997), p. 303 à 332, tableaux.
[25] Aix-en-Provence, Aubagne, Gordes, Lacoste, Lambesc, La Tour d’Aigues, Malaucène, Saint-Cannat, Saint-Chamas.
[26] Bédoin, Bonnieux, La Bastide-des-Jourdans, Cassis, Ceyreste, Gémenos et Roquefort.
[27] Puyméras, Saint-Léger et Saint-Roman.
[28] Cassis, Lambesc, la Bastide et la Tour d’Aigues. Les communes d’Aix et d’Aubagne ne sont pas traitées ici à cause de leur comptabilité incomplète.
[29] Allauch, Bédoin, Bonnieux, Ceyreste, Gémenos, Gordes, Lacoste, Malaucène, Puyméras, Roquefort, Saint-Cannat, Saint-Chamas, Saint-Léger, Saint-Roman.
[30] Cassis, Ceyreste, Gordes, Lambesc, Puyméras, Roquefort, Saint-Cannat, Saint-Léger, et Saint-Roman.
[31] Aix, Allauch, Aubagne, Bédoin, Bonnieux, Gémenos, Lacoste, La Bastide, La Tour d’Aigues, Malaucène et Saint-Chamas.
[32] Cf. supra.
[33] Ceyreste, Gordes, Lambesc et Roquefort.
[34] ALBERT (G.F.), Un épisode de l’histoire rurale de l’ancienne Provence. Biens communaux et biens nationaux (Var), thèse pour le doctorat universitaire d’Aix-Marseille, Faculté de droit d’Aix-en-Provence, juin 1955, Aix-en-Provence, La Pensée Universitaire, 154 p.