La recherche d’un équilibre entre publicité du culte et ordre public (1801 – 1905)
ARTICLE
Durant une grande partie du XIXe siècle, les manifestations publiques du culte catholique sont inscrites dans le paysage culturel, régimes politiques et mentalités admettant ce principe. Cependant, au fil des ans, notamment lorsque l’anticléricalisme prendra pied dans la société française, les maires considéreront de leur devoir de limiter cette publicité. En invoquant les lois qui leur permettent de maintenir l’ordre et la sécurité sur la voie publique, ils interdiront les manifestations religieuses lorsque les opposants protesteront contre cet étalage religieux, mais aussi lorsque leur commune ne comptera qu’un petit nombre d’individus appartenant à une autre religion. Les difficultés surgiront pour beaucoup lors de l’instauration de la IIIe République.
Selon l’article 1er de la convention du 26 messidor an 9, la religion catholique est librement exercée en France, conformément aux règlements de police mis en place par le gouvernement. Or, les arrêtés municipaux pris par les maires pour interdire les manifestations religieuses sur la voie publique en vertu de leurs pouvoirs de police ne sont pas, stricto sensu, des actes de gouvernement. Cette question devra être tranchée par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat mais en 1882 on relève un conflit entre ces deux hautes juridictions.
En concédant aux magistrats municipaux le droit d’intervenir dans un domaine normalement réservé, le Conseil d’Etat a donné aux maires un pouvoir qui leur a permis d’interdire les processions et cérémonies religieuses alors même que les textes contenaient d’autres dispositions. Au fil du temps, les préoccupations de police municipale deviennent un prétexte. Le Conseil d’Etat depuis le début du XIXe siècle montre clairement où va sa préférence, alors que les juges de cassation sont plus nuancés, plus attachés à la norme, plus soucieux de respecter l’esprit concordataire.
Les maires intervenant de plus en plus fréquemment dans un domaine qui était scrupuleusement réservé, les juges devront faire preuve de vigilance pour qu’ils ne vident pas la réglementation de son sens, pour que leurs arrêtés ne dégénèrent pas en oppression.
Ainsi, les juges opéreront une distinction entre les processions qui se déroulent avec un certain apparat et de simples conduites processionnelles.
Sera considéré comme un abus l’acte commis par un fonctionnaire portant atteinte à l’exercice public du culte ou à la liberté de ses ministres. En matière de culte, les pouvoirs des juges de simple police sont sévèrement encadrés. Le recours pour abus ayant été organisé pour faire respecter l’indépendance réciproque de l’autorité administrative et de l’autorité ecclésiastique, toutes les contestations mettant en cause cette indépendance sont du domaine du recours et seront tranchées par décret en Conseil d’Etat. Saisis d’une poursuite en contravention contre l’arrêté du maire, les premiers juges ne peuvent par eux-mêmes déclarer l’arrêté illégal « du chef d’ »abus » et doivent renvoyer l’affaire devant le Conseil d’Etat.
Jusqu’à la mise en place de la IIIe République, le fait religieux sur a voie publique n’est pas contesté. Les juges de la Cour de cassation ont eu la volonté de se comporter en arbitres entre les trois valeurs qui sont, dans l’ordre : la publicité du culte catholique, la liberté de conscience et le maintien de l’ordre. Ils appliquent la norme, concourent relativement peu à son évolution. Ce rôle reviendra au Conseil d’Etat qui, en qualité de précurseur, bouleversera cette hiérarchie. Pressentant l’évolution de la société, sensible au contexte politique, en prise étroite avec le pouvoir, il aménage différemment les valeurs et donne la prééminence au maintien de l’ordre.
Cette relégation de la publicité du culte catholique après le maintien de l’ordre et la liberté de conscience est tolérée par les catholiques, car le temps où leur Eglise était une force politique est terminé. Le Conseil d’Etat a patiemment préparé le terrain pour la loi de 1905.