L’ARTICLE 90 DU CODE FORESTIER DE 1827 ET LES COMMUNAUX BOISES EN PROVENCE
ARTICLE
Tout le monde s’accorde à reconnaître que si la forêt française en général est en mauvais état au début du XIXe siècle, la forêt provençale en particulier est dans une situation déplorable.
Au XIXe siècle, si la forêt n’est plus seule à fournir le combustible pour les fours industriels et le chauffage domestique, d’autres besoins apparaissent qui risquent à nouveau d’accélérer sa dégradation, d’où la nécessité, pour protéger une forêt toujours aussi menacée, de la mise au point d’un Code forestier en 1827, complété par l’ordonnance royale d’août de la même année.
A partir de cette année, seules seront soumises au régime forestier, conformément à l’article 90 du nouveau Code, les forêts susceptibles d’aménagement ou d’une exploitation régulière.
Valable pour toutes les forêts françaises, le principe général posé par cet article est d’une application fréquemment difficile en Provence où la couverture forestière – dont les éléments sont nettement xérophiles – n’a rien de commun avec les arbres utiles qui croissent ailleurs en France.
Le régime forestier, défini comme l’ensemble des règles spéciales tracées pour l’administration des bois et forêts, sur lesquels l’Etat exerce un droit de propriété ou de tutelle, est un régime dérogatoire qui s’applique à tous les bois et forêts qui n’appartiennent pas à des particuliers.
L’administration des eaux et forêts estime la soumission indispensable chaque fois qu’il est souhaitable de prévenir les dangers d’une exploitation abusive et mal ordonnée qui en amèneraient fatalement la ruine, dans un avenir plus ou moins éloigné. Forte de l’expérience qui montre que les habitants cherchent à retirer des bois communaux la plus grande quantité possible de produits, sans s’inquiéter des conséquences que cette perception exagérée des fruits peut avoir sur l’avenir de la forêt, l’administration, pour prévenir ces abus et assurer un profit constant et soutenu aux générations futures, doit diriger la culture et la surveillance des bois des communes.
Seule la preuve que les bois ne répondent pas à la définition de l’article 90 du Code forestier, ici particulièrement clair (« ne peuvent être soumis que les bois susceptibles de donner un produit en argent au moins suffisant pour payer les frais d’administration ») permet d’échapper à cette tutelle.
Pour s’opposer à l’application de l’article 90, nombre de communes prétendront que leurs forêts ne répondent pas à la définition du nouveau Code, d’où conflits avec l’administration forestière, le thème étant toujours le même : l’une estime que les bois répondent à la définition de l’article 90, les autres démontrent qu’ils ne sont pas susceptibles d’aménagement et que leur rapport est nul. Généralement l’administration forestière l’emporte et obtient de l’autorité administrative la soumission des bois au régime forestier.
En 1854, les réclamations de plus en plus nombreuses contraindront le législateur à intervenir. Le conservateur sera alors chargé de dresser, pour chaque commune, un état avec situation, nature et étendue, peuplement et produits, afin d’estimer l’utilité de la soumission.
Reconnus susceptibles d’aménagement et d’exploitation régulière, la commune ne pourra disposer à sa guise de ses bois. D’après le Code, les défrichements ne pourront être effectués qu’avec une autorisation expresse et spéciale du gouvernement, le partage des bois communaux sera interdit, de même que l’exercice des droits d’usage, l’extraction ou l’enlèvement de matériaux. L’ordonnance d’application prévoit que les adjudications seront réglementées, les coupes du quart en réserve seront interdites. De plus, toute aliénation résultera obligatoirement d’une ordonnance du chef de l’Etat, la surveillance des bois sera le fait de gardes forestiers.
La soumission, par l’influence qu’elle exerce directement sur la vie de la population, est source de nombreuses réclamations qui concernent notamment la restriction du pâturage, souvent seule ou principale ressource de la population et il est fréquemment souligné que le Code forestier rend précaire la situation de bien des familles pastorales, d’où le nombre des demandes de distraction.
L’administration des forêts est très prudente, voire réticente, pour accorder la distraction du régime forestier. Le problème se pose en termes simples, surtout dans les Bouches-du-Rhône : d’un côté, les communes ne possèdent que des bois rabougris, des espaces non boisés, de l’autre, l’administration trouve des forêts tôt ou tard d’un bon rapport pourvu qu’elles soient bien protégées et reboisées.
Des documents conservés dans les fonds d’archives, il semble qu’une certaine distinction puisse être opérée entre les différents départements. Dans le Vaucluse et les Alpes de Haute-Provence, l’opposition à l’administration forestière est moins virulente que dans les Bouches-du-Rhône et le Var. Ceci ne ressort pas seulement des chiffres (quand on peut les établir), mais aussi de l’état d’esprit qui se dégage de la correspondance en général. Une première explication tient vraisemblablement à la nature et à la richesse des forêts, mais on ne peut ignorer l’histoire des mentalités, la situation économique, la démographie…
La soumission des bois communaux au régime forestier devait améliorer la couverture forestière de la Provence. Les résultats obtenus peuvent être extrêmement positifs en cas de non soumission… et en cas de soumission. Si aujourd’hui il est encore difficile d’affirmer que l’objectif a été partout pleinement atteint, il faut cependant admettre que l’amélioration fut considérable, notamment dans le département de Vaucluse dont les archives livrent les chiffres qui permettent d’appréhender ce que fut l’évolution du patrimoine forestier depuis 1669. De cette date jusqu’à 1830, la majorité des communes forestières (46 sur 78) a vu disparaître ses forêts dans des proportions considérables : moins 32,77 %. Lorsqu’on sait comment fut protégée la forêt par l’ordonnance de 1669, on mesure mieux l’œuvre destructrice de la fin du XVIII° siècle. Cette évolution, qui n’a pas échappé au législateur, a été enrayée par la mise en œuvre du Code forestier et il est évident que la soumission au régime forestier a sauvé la forêt puisque de 1830 à 1879 la surface forestière a augmenté de 177,30 %, chiffre d’autant plus considérable qu’il faut tenir compte de l’augmentation de la population et des besoins croissants de l’industrie.
Si quelques communes pouvaient fort bien s’administrer elles-mêmes en matière forestière, pour la majorité d’entre elles, il faut reconnaître que la soumission a été bénéfique, mais on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la politique de l’administration forestière. On est loin de l’esprit du Code qui prévoyait une administration de précaution et de garantie. Par contre, et c’est une réalité, la soumission s’inscrit dans un mode de gestion qui tient à la mise en place d’un état forestier amorcé en 1669.