LE FINANCEMENT DE LA PESTE A AIX-EN-PROVENCE AU XVIIe siècle
ARTICLE
Au XVIIe siècle, parce que l’indépendance financière est un élément essentiel de la vie municipale, les communautés ont le pouvoir de décider de leurs dépenses et de les couvrir en établissant des recettes autonomes.
Les revenus sont constitués essentiellement par les impôts indirects de consommation. En cas de nécessité, les Aixois recourent à l’emprunt. Les premiers pèsent sur les contribuables qui ne peuvent l’accepter ou le refuser. Le second, sorte d’impôt différé, est rejeté sur les générations futures. Si l’on s’attache à l’individu isolé, il est plus intéressant pour lui de prêter de l’argent, sauvegardant son capital, que de payer un impôt, par définition irrécupérable et non productif d’intérêts. L’opération est d’autant plus intéressante pour les souscripteurs les plus riches qu’ils récupèrent sous forme d’intérêts ce qu’ils paient en impôts. Il n’est pas étonnant alors que l’emprunt soit préféré à l’impôt.
La lutte contre la contagion passe d’abord par la santé et l’hygiène, avec les gages des chirurgiens, médecins, apothicaires, parfumeurs. D’une manière générale, leur salaire est déterminé avant la prise de fonction. Les malades qui ne peuvent demeurer dans la ville et contaminer les personnes encore saines sont enfermés dans les hôpitaux, infirmeries ou huttes. Le poste qui concerne leur hébergement est bien entendu très important. Il faut des gardes pour empêcher les personnes de quitter le lieu de soins, un cuisinier, un apothicaire qui distribue les drogues et les médicaments, deux apothicaires ordinaires, des nourrices, des aides, des servantes pour porter le potage aux malades, des lavandières pour nettoyer le linge, une femme pour distribuer le vin, des serviteurs pour aider les chirurgiens à placer les emplâtres, des portefaix, un muletier qui porte les vivres ; du blé, de la farine, de l’huile, de la viande, du vin, de la paille … des linceuls.
Les consuls doivent aussi prendre soin des mourants, notamment par l’administration des sacrements aux malades par des pères Observantins. Les pestiférés décédés sont ensevelis par deux personnes rémunérées mensuellement. Des agents et des soldats sont chargés du maintien de l’ordre.
La nécessité de constituer des réserves de céréales est une constante à cette époque. Pendant l’année 1628/1629, avant même que la peste soit déclarée, la ville paie pour le blé, qu’il s’agisse de son achat, des frais engagés pour sa recherche ou son transport, des vacations pour les personnes qui surveillent les greniers, de la location des entrepôts.
En 1628/1629, tous postes confondus, la ville dépense 40 355 livres ce qui représente 47,76 % des recettes globales de la cité. Si la moitié de ces dernières n’est pas engloutie dans la peste, il s’en faut de peu. Le problème est radicalement différent l’année suivante, au plus fort de l’épidémie : la ville engage 190 366 livres pour lutter contre le fléau, ce qui représente 103,33 % des recettes ! La communauté vit cette situation terrifiante de consacrer tous ses revenus (et plus) à la maladie ! Confusion qui sera évitée en 1720 avec la constitution d’une caisse consacrée à la contagion.
Pendant la période de la peste, de 1628/1629 à 1630/1631, la moyenne des impôts a considérablement diminué : la désertion des uns, la pauvreté des autres n’étaient pas de nature à faire entrer de l’argent dans la caisse du trésorier.
Les chiffres relevés conduisent à se demander le rôle que pouvaient jouer les impôts dans ces moments difficiles. Pouvaient-ils à eux seuls financer les dépenses imposées ? Il est clair, lors de la première épidémie, qu’ils ne pouvaient permettre aux dirigeants de faire face aux dépenses.
Deux systèmes d’emprunt sont alors à la disposition de la ville. Avec l’emprunt à jour, le calcul de la pension s’effectue au jour le jour et le capital est à la disposition de la communauté pour une courte période. La totalité des intérêts payés est alors peu élevée, mais la communauté devra impérativement rendre leurs deniers aux créanciers lorsqu’ils formuleront la demande ou lorsque le terme viendra à échéance, lui imposant le plus souvent d’emprunter pour remplir cette obligation. Avec l’emprunt à pension perpétuelle, les intérêts sont annuels, le taux variant de5 à 6,25 %, charge très lourde à supporter, par contre, la communauté n’aura à rembourser le capital que dans des cas exceptionnels, sécurité qui fait que le second système est le plus utilisé.
Lorsque la communauté emprunte, elle engage ses biens, rentes, recettes et revenus présents et à venir, formule qui ne vaut que pendant les périodes calmes, lorsque les prêteurs font confiance à la ville, lorsqu’ils savent que leurs pensions seront payées (à peu près) régulièrement. Si les conditions sanitaires imposent un climat de méfiance, pour attirer les prêteurs, les consuls proposent d’autres garanties, la première étant constituée par leurs biens, lesquels pourront être saisis par les créanciers qui n’obtiendraient pas de la ville le paiement de leurs pensions ou le remboursement de leur capital.
Sachant qu’à cette époque, les finances municipales se caractérisent par l’absence de budget, on conçoit qu’en période d’épidémie, les dirigeants ne puissent prévoir les dépenses qui devront être faites, ils empruntent donc ce qu’ils croient être juste. Les difficultés financières s’expliquent aussi par le fait que les nantis qui s’éloignent de la ville sont aussi les plus compétents … dès qu’ils s’isolent dans le terroir, ils laissent le champ libre aux plus démunis qui subissent la contagion et ne sont pas concernés habituellement par la direction des affaires de la ville. De plus, on ne peut ignorer que tous ces gens (qui d’ailleurs bien souvent, lors des conseils, n’étaient que six ou sept) engageaient leurs biens en cas de non remboursement par la ville ! On mesure mieux le sacrifice qu’ils consentaient et même si leur gestion n’était pas parfaite, ils donnaient certainement le meilleur d’eux-mêmes. L’appréciation serait donc plus sévère envers ces conseillers et consulaires qui, en quittant la ville, ont contribué au vide institutionnel, réaction cependant fort compréhensible.
Lorsque les gens compétents sont rentrés, lorsqu’ils ont repris en main les affaires de la ville, ne pouvaient-ils se rendre compte que les emprunts étaient supérieurs aux besoins ? Ne pouvaient-ils faire procéder à des remboursements massifs ? Il semble qu’ils aient trouvé une autre utilisation à ces fonds, aidés en cela par la politique royale puisqu’il faudra lutter contre l’instauration de l’Edit des Elus.
Quelle appréciation porter sur le rôle financier des dirigeants en ces périodes difficiles ? En ce qui concerne les impôts, il est certain que pendant la première épidémie (1629) ils ne pouvaient suffire, pour la seconde (1650), la question peut se poser : avec des dépenses s’élevant à 303 411 livres, il suffisait d’emprunter cette somme, alors que la ville a emprunté 556 982 livres.
Si l’on ne s’attache qu’à la gestion pure de la ville pendant ces deux épidémies de peste, on peut considérer que pour la première, les responsables ont paré au plus pressé, qu’ils ont accompli leur tâche le mieux qu’ils ont pu, compte tenu des circonstances, mais qu’ils ont modifié la destination d’une partie de l’argent emprunté au titre de la peste.