Le juge colonial et le contrôle des chercheurs d’or
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Au début de la colonisation, le législateur impose la réglementation métropolitaine, mais il apparut très vite qu’il fallait imaginer d’autres mesures comme c’est le cas à Madagascar.
En métropole comme dans les colonies, le principe veut que la mine soit détachée de la propriété du sol et attribuée au domaine qui en dispose en accordant des concessions temporaires. Les prospecteurs seront propriétaires de l’or qu’ils trouveront après s’être pliés à certaines formalités. Parfois, comme en Guyane, ils doivent détenir un permis d’exploration qui leur permet d’exécuter tous travaux de fouille ou de sondage, et de tracer sur le sol les démarcations utiles. Sur les terres libres du domaine, toute personne peut, sous réserve des droits antérieurs des tiers, se livrer à l’exploration des mines ou des placers moyennant un permis personnel, délivré par le commissaire des mines du district, après versement par le demandeur d’une taxe fixe.
Si le permis d’exploration n’est pas requis dans toutes les colonies, la possession d’un permis de recherche est une donnée constante, moyennant le paiement d’une redevance et le chercheur doit aussi obtenir un permis d’exploitation. Tout titulaire d’un permis de recherche valide peut demander sa transformation en permis d’exploitation afin de posséder le droit exclusif d’extraire l’or, les métaux précieux et les pierres précieuses dans l’étendue de son périmètre.
La jurisprudence relativement abondante, même si elle concerne essentiellement les permis de recherche en Guyane et à Madagascar, permet de dégager le rôle du juge et de mettre en lumière, dans un contexte de développement d’une richesse indispensable aux colonies, comment il œuvre pour faciliter le travail des chercheurs d’or et comment il opère pour conserver le contrôle des droits concédés, l’objectif final étant une certaine conception de l’expansion minière.
Le juge participe au développement de ce secteur économique en contenant les ambitions du service des mines et en lui interdisant toute ingérence susceptible de fausser le libre jeu de la concurrence. Il montre fréquemment combien il est attentif aux conditions de travail des prospecteurs en étendant certaines garanties et enfin il ne manque pas d’assouplir la réglementation en vigueur, quitte à se heurter au législateur. Parfois, la prise de conscience des juges et quelques tâtonnements permettent d’élaborer une règle qui tienne compte du contexte, des difficultés que rencontrent les prospecteurs lorsqu’ils s’engagent dans l’aventure de la recherche de l’or.
De nombreux exemples montrent que les initiatives prises par les juges ont été entérinées par le législateur, car elles étaient de nature à favoriser l’expansion minière, encore fallait-il que certains principes soient respectés, certains n’étant pas susceptibles d’assouplissement. Il en est ainsi de la règle qui impose l’identification parfaite par l’État des personnes se livrant à la recherche de l’or et des pierres précieuses.
Les juges de la Cour suprême ont à cœur de permettre aux prospecteurs de s’organiser comme ils l’entendent pour l’exploitation de leurs permis de recherche, l’objectif étant toujours de susciter des vocations. Cependant, l’État étant propriétaire du domaine exploité, le titulaire d’un permis de recherche ne peut disposer librement de son titre. Le législateur n’entend pas s’opposer à sa cession ou sa transmission, mais simplement contraindre le propriétaire à obtenir l’autorisation de l’administration. Le problème est plus complexe lorsqu’il s’agit du partage du permis de recherche.
Le juge est un élément déterminant dans l’expansion minière lorsqu’il privilégie la justice de proximité. Jusqu’en 1912, le Conseil du contentieux administratif statue sur les contestations se rattachant à la recherche et à l’exploitation minières et le Conseil d’État sur les demandes en annulation, mais cette répartition était appelée à évoluer.
Au fil des ans, en abandonnant une partie de sa compétence, en transférant aux Conseils du contentieux administratif le recours direct de l’annulation, le Conseil d’État est allé dans le sens de la volonté du législateur en matière minière : conjuguer facilité, rapidité et confiance. Il présuppose que les juges locaux sont mieux à même d’apprécier l’opportunité d’annuler un permis de recherche et le législateur a suivi cette orientation, montrant ici qu’il était à l’écoute de ce qui était à même de participer au développement de la recherche minière.
À la fin du XIXe et au début du XXe siècles, marquant une adhésion totale au régime libéral mis en place par le législateur, les juges s’opposent aux manœuvres susceptibles de freiner l’initiative privée, s’engagent dans la lutte contre l’accaparement des terres aurifères (avec une tendance certaine à s’attacher à la rentabilité), et répugnent à décourager les individus qui se mettent en contravention avec la loi, n’oubliant pas que si les prospecteurs font preuve de courage, d’esprit d’aventure, leur faible niveau d’instruction ne les prédispose pas à se plier aux formalités prescrites.
Au début de la colonisation, par une législation exceptionnellement favorable, l’État devait encourager l’installation des colons et l’afflux des capitaux. Très rapidement, les mines jouissent d’un statut quelque peu différent de celui de la métropole : les périmètres de recherches sont réduits, une taxe de superficie est créée pour limiter la spéculation… Dans cette œuvre, le législateur devait impérativement être secondé par les juges, particulièrement bien placés pour mesurer les défaillances de la loi, ses insuffisances, ses difficultés d’application. De nombreux exemples montrent qu’ils n’ont pas hésité à s’engager pour la faire évoluer et il ne fait aucun doute que, dans le domaine de la propriété, ils ont joué un rôle considérable.
Cela conduit à s’interroger sur l’évolution de la législation et si l’on prend l’exemple de Madagascar, certes cas extrême, on constate que sur quarante ans, les mineurs ont affronté treize décrets et cinquante-quatre arrêtés du gouverneur général ! Soit l’on se félicite de ce droit très vivant, soit l’on regrette le manque de vision à long terme du législateur et ses nombreux tâtonnements…
De cette première approche, il semble que la seconde partie de la proposition puisse être retenue. En effet, si tout le monde est conscient que l’industrie minière doit être un des principaux moteurs de l’activité humaine dans les colonies, force est de constater que la production française, avant la crise de 1929, demeure fort modeste. Ces piètres résultats ont obligatoirement joué un rôle dans l’abondance dénoncée ci-dessus, malheureusement, en 1938, la conclusion s’impose : l’initiative privée est insuffisante et plusieurs mesures sont mises en place pour accroître la production, notamment à Madagascar : création de permis d’exploration pour effectuer des recherches dans des zones de grande étendue, concessions accordées aux seuls demandeurs prouvant l’existence d’un gisement exploitable avec profit et surtout, dans toutes ses possessions, l’État français se réserve la faculté de se livrer à toutes opérations minières. Désormais, les colonies ne compteront plus sur la seule initiative privée, mais l’honnêteté contraint de reconnaître le travail considérable accompli par ces pionniers, les premiers colons. Les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances mais le législateur n’a-t-il pas eu sa part de responsabilité ? Déjà dans un rapport précédant le décret du 10 mars 1906 pour la Guyane, l’attention était attirée sur la nécessité de calquer la réglementation française sur celle des autres pays dont l’application donnait des résultats si féconds. Les chiffres sont là pour prouver que ce vœu n’a pas été suivi d’effets et les juges ne pouvaient à eux seuls donner l’impulsion nécessaire pour que la France, compte tenu de l’étendue et de la richesse de son empire colonial, prenne sa place parmi les grandes nations minières.