LES RELATIONS ENTRE L’ARMÉE ET L’ADMINISTRATION FORESTIÈRE EN ALGÉRIE DU DÉBUT DE LA COLONISATION AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE
Préambule
Cet article s’inscrit dans une vaste recherche qui a débuté en 2000. Le programme a été mis en place par l’UMR 5815 « Dynamiques du droit », de l’Université de Montpellier I, avec le soutien du ministère de la Justice. L’équipe de recherche sur l’Histoire du Droit des Colonies (H.D.C.), sous la direction de Bernard Durand, a pour objectif d’aborder les terres coloniales par le droit qui leur est applicable et l’institution de justice qui leur avait été donnée. Il faut souligner l’intérêt de son approche scientifique qui postule que le droit se construit aux « frontières » et que c’est aux frontières du temps, de l’espace et de l’esprit qu’il se recompose (http://www.histoiredroitcolonies.fr).
Dotés d’un droit de parcours fondé sur un usage immémorial, les indigènes d’Algérie nourrissaient leur bétail dans les forêts et y exerçaient un grand nombre de droits d’usage, essentiels pour leur survie. Tant que les tribus étaient placées en territoire de commandement militaire, le service forestier n’avait aucun pouvoir, la surveillance étant confiée à l’autorité militaire, mais, la colonisation progressant, les indigènes passèrent en territoire civil. Dès lors, l’administration forestière prit possession de toutes les forêts, y installa des gardes et les soumit au seul régime qu’elle connaissait : celui du Code forestier métropolitain déclaré exécutoire par la Cour de cassation en 1883. Les conséquences furent dramatiques : brusque passage d’une situation tolérante et respectueuse des anciennes coutumes à un régime autoritaire, formaliste et tracassier. Nombre de populations essentiellement pastorales, écartées du littoral et cantonnées dans les zones les plus pauvres ont vu leur industrie ruinée, ont été réduites à la misère et selon certains auteurs, ont été poussée à l’insoumission.
ARTICLE
Difficiles rapports entre l’armée et l’administration forestière. Engagement de l’armée dans la lutte contre les incendies de forêts.
Au milieu du XIXe siècle, l’Algérie comprend trois provinces subdivisées en territoires civils ou militaires. Les premiers, où domine l’élément européen, sont placés sous la direction des préfets, les seconds, où l’élément arabe est presque exclusif, sont administrés par des généraux et appelés à disparaître lorsque les populations passeront sous le régime civil.
L’objectif de cet article est de mettre en lumière un aspect du travail et du comportement de l’armée. Proche des populations autochtones, de leurs intérêts, consciente de la difficulté de transposer, purement et simplement, le Code forestier, mis au point pour la Métropole, dans une terre en voie de colonisation, elle n’hésite pas à contester la politique forestière auprès du gouverneur et du ministre de tutelle. Ses critiques sont remarquables lorsqu’il convient de protéger les bois et terres de pâturage et de lutter contre les incendies de forêts.
En fait, les rapports seront très difficiles entre l’armée et l’administration forestière. Les agents forestiers n’hésitent pas à empêcher des indigènes de défricher leurs terres, de confisquer leurs outils. Le bureau des affaires arabes considère que ces agents s’engagent dans une voie fâcheuse, là où des ménagements sont indispensables. Il souligne que la situation politique ne permet pas d’agir en Algérie comme en France. De tels comportements n’étant pas exceptionnels, le ministre de tutelle est contraint d’intervenir en préconisant notamment que les agents responsables de tels désordres soient punis.
L’armée manifestait fréquemment sa volonté de protéger les usagers, n’hésitant pas à critiquer le comportement des agents forestiers en territoire militaire, dénonçant les dangers liés à leur attitude, remettant en cause la politique générale de l’administration forestière. Ses critiques s’étendaient aussi aux mesures de répression.
En dehors de ce rôle critique, l’armée intervenait de façon très concrète dans la lutte contre les incendies mais à la fin du XIXe siècle, il est patent qu’il est impossible de lutter contre un incendie dès lors qu’il a pris une certaine importance. Avec les faibles moyens mis à leur disposition, il reste à se demander si les troupes étaient efficaces dans la lutte contre les incendies. La réponse est clairement positive pour les feux naissants, clairement négative pour les incendies déclarés.
Par l’application stricte du Code forestier, l’administration forestière et le pouvoir politique espéraient, avec la protection et le développement des forêts de chênes-lièges, encourager le productivisme forestier. L’objectif des militaires étaient double : tout d’abord permettre aux indigènes de vivre dignement selon leurs coutumes et créer un climat propice au maintien de la présence française, ensuite, chargée du maintien de l’ordre, elle percevait le danger que représentait l’application sans nuance du Code forestier.
Lorsqu’on mesure la détresse dans laquelle étaient plongées les populations pastorales face à l’intransigeance et l’incompréhension de l’administration forestière, on ne peut s’empêcher de penser que si les populations autochtones avaient continué à mette le feu aux broussailles comme elles l’avaient toujours fait, si elles avaient continué à gérer et entretenir leur patrimoine forestier comme l’armée leur permettait de le faire, les forêts n’auraient sans doute pas brûlé dans de telles proportions. Dans ce domaine très précis, en comprenant les réalités de la colonie, non seulement l’armée permettait aux indigènes de préserver leurs forêts, leurs pâturages, leur mode de vie et leur culture, mais, de plus, elle favorisait le développement de la colonisation.
ARCHIVES
Archives d’outre-Mer à Aix-en-Provence
CAOM – FM – F80 971 – liasse incendie – sous liasse Forêts généralités
CAOM – FM – F80 971 – Liasse délits forestiers
ALG – GGA – P 90 – Liasse Difficultés et conflits jusqu’en 1873
ALG – GGA -P 62 – Liasse Responsabilité collective des douars et tribus
ALG – GGA – 11 H 1 –Rapports politiques périodiques 1858-1886
ALG – GGA – P 90 – Liasse Difficultés et conflits jusqu’en 1873 – Service des forêts d’Alger du 26 avril 1860
ALG – GGA – P 62 – Liasse Législation et principes – Application de la loi du 17 juillet 1874
ALG – GGA – P 62 – Liasse Incendies – 11e section – Interdiction du pacage dans les forêts incendiées
ALG – GGA – P 62 – Liasse incendies – détachements militaires employés à la surveillance
ALG – GGA – P 62 – Liasse Législation et principes – Application de la loi du 17 juillet 1874 – Responsabilité collective des douars ou tribus – Circ du 28 juin 1873 – JO de l’Algérie du 6 juillet 1873
ALG – GGA – P 63 – Liasse Prescriptions diverses en vue de prévenir ou de réprimer les incendies de 1853 à 1898 – Circulaire du 19 septembre 1873
ALG – GGA – P 129 – Liasse 11e section – Incendies – Moyens à employer pour prévenir les incendies – Mémoire du Lieutenant colonel commandant supérieur Trumelet du 11 octobre 1873
ALG – GGA – 1 T 6 – Fonds procureur général – correspondance 1875-1885 – Liasse Incendies
surveillance
ALG – GGA – 1 T 7 – Fonds du procureur général – correspondance 1876-1885 – Sous liasse 1876 Situation de l’arrondissement de Bône
ALG – GGA – P 60 – Liasse 12e section – Poursuites des délits
ALG – GGA -P 63 – Liasse Prescriptions diverses en vue de prévenir ou de réprimer les incendies de 1853 à 1898
ALG – GGA – P 63 – Incendies – Mesures prises en 1904
ALG – GGA – P 63 – Incendies- Mesures prises en 1905
ALG – GGA – P 109 – Liasse Postes-vigies 1914 à 1920 – Sous liasse 1917