L’EXPLOITATION DES COMMUNAUX BOISES SOUMIS A L’ARTICLE 90 DU CODE FORESTIER
ARTICLE
Au début du XIXe siècle, la forêt française est dans une situation déplorable et la Provence n’est guère plus favorisée que les autres régions : les exploitations, le pâturage, les défrichements ont légué des massifs ruinés. Si l’on ajoute l’érosion torrentielle qui a fragilisé les sols, la sécheresse du climat, des abus de jouissance, il apparaît que la forêt provençale est au bord de la ruine lorsque le législateur met en place un régime particulièrement protecteur.
Avec l’article 90 du Code forestier, les communaux boisés sont toujours destinés à être exploités, mais sous la surveillance de l’administration forestière car leur protection serait illusoire si les communes pouvaient les faire couper sans mesure, si les usagers pouvaient, comme par le passé, aller y chercher ce qui est nécessaire à leur vie quotidienne. C’est pourquoi le législateur réglemente l’exploitation des forêts communales. Qu’il s’agisse des productions forestières destinées à la vente ou livrées aux ayants droit, l’administration exerce un contrôle de tous les instants : les coupes de bois et les menus produits ne peuvent être vendus qu’en suivant une procédure clairement définie. Quant aux usagers qui pèsent particulièrement sur les bois communaux, ils subissent aussi la nouvelle réglementation, précaution indispensable car, au fil des ans, conjugués avec la négligence municipale, la rigueur climatique, les nécessités économiques, leurs prélèvements ont dégradé les forêts, ont achevé ce que la nature avait accordé avec parcimonie.
Parmi les productions forestières destinées à la vente, les coupes ordinaires et extraordinaires figurent en bonne place. En France, il est généralement interdit de jardiner mais, en Provence, avec des forêts peuplées d’arbres résineux, les coupes se font selon ce procédé. Pour une forêt dont la régénération est lente, le sol n’étant jamais découvert sur de grandes surfaces, ce système préserve une certaine fraîcheur. Les registres de comptes des communes montrent que les coupes ordinaires et surtout extraordinaires y tiennent une place considérable, permettant bien souvent les aménagements indispensables à la vie quotidienne : réparation des bâtiments publics, de l’église, construction de lavoirs, de théâtres, limitation du montant des impôts¼ et diminution du déficit. Les menus marchés n’ont pas le même caractère essentiel pour la survie de la communauté mais, dans certains cas, ils constituent une contribution qui ne peut être négligée.
Ont aussi retenu l’attention du législateur, les menus produits : glandée, panage, paisson, chablis, bois de délits, de recépage et d’essartement. En raison de leur faible valeur marchande, ils bénéficient d’une grande souplesse lors de leur adjudication.
En 1827, le législateur est aussi très vigilant à l’égard des usagers qui ne peuvent plus disposer des forêts comme si elles leur appartenaient. Désormais, les droits d’usage feront l’objet d’un cantonnement, c’est-à-dire que ceux qui existent, qui seront constatés, seront maintenus mais ne nouveaux droits ne pourront être concédés.
Dans le même esprit de protection, les communes peuvent recourir à l’affranchissement de tout droit d’usage en bois, c’est-à-dire au cantonnement, à l’abandon d’une partie du patrimoine forestier, afin d’affranchir le surplus de l’exercice des droits d’usage dont il est grevé. Il leur est possible de réduire les droits d’usage en bois, avec cette réserve cependant que seule la commune, à l’exclusion des usagers, peut recourir à l’action en affranchissement d’usage par voie de cantonnement.
En ce qui concerne les droits de pâturage, s’il est impossible d’exclure définitivement les moutons des forêts communales tant que les conditions économiques dans les hautes vallées ne sont pas modifiées, il faut veiller, et c’est là le plus difficile, à leur interdire l’accès des parties ruinées. Pour les chèvres, la prohibition ne peut souffrir d’exception.
Le droit d’affouage, droit qu’ont les habitants d’une commune forestière de pratiquer des coupes de bois dans les forêts communales pour leur usage personnel, a toujours été étroitement surveillé par l’autorité supérieure, les abus étant inévitables.
Enfin, les droits d’extraction concernent les menus produits susceptibles d’être extraits des forêts, tout ce qui se trouve enfoui dans le sol ou pousse à la surface. Le législateur a cité les produits les plus importants, mais c’est une énumération énonciative et non limitative. Les dispositions sont générales et ne comportent aucune exception ; elles s’appliquent notamment à tous les fruits et semences fournis par le sol forestier : mousses, ronces, gui, champignons, morilles, truffes, ardoises, pousses de genévriers, lavande, feuilles pour faire de l’engrais, ramassage gratuitement des glands ainsi que des chênes kermès, buis, romarins, bois rampants et autres arbustes nuisibles à la croissance et au développement des bonnes essences, installation de ruches, ramassage du bois pour les vers à soie, du thym, du romarin, des tubercules d’asphodèles afin de fabriquer un alcool, de l’écorce à tan… autant de produits qui ne peuvent être prélevés que si les autorités supérieures ont donné leur autorisation. On ne peut laisser vagabonder dans les forêts toutes les personnes qui souhaitent en retirer ce dont elles ont besoin pour l’agriculture, l’économie domestique, l’industrie locale ou des travaux de plus grande envergure. À chaque fois, l’administration veille à ce que le sol forestier ne subisse pas de grands dommages et incite les communes à percevoir des redevances.
Par essence très protecteur, le droit forestier met à l’abri de la convoitise les communaux boisés. Malgré les apparences, la vigilance de l’administration forestière n’a pas pour but de contrarier la politique communale. Ses objectifs s’inscrivent dans le long terme : éviter les dévastations locales que peuvent entraîner les aliénations et les défrichements, protéger l’agriculture en faisant procéder à des reboisements qui contiendront les sources, éviteront les modifications climatiques. Et surtout, les gestionnaires forestiers sont attentifs à la classe de la population la plus pauvre. En effet, s’il semble dans un premier temps que le droit forestier tende à évincer les usagers des forêts soumises, il faut avoir présent à l’esprit que sans cette politique protectrice, de toutes façons, les usages auraient disparu en même temps que les forêts. Le but de l’administration est alors de gérer un patrimoine en voie d’extinction afin que, dans un premier temps, les plus pauvres puissent encore trouver en forêt ce qui est essentiel à leur survie. Certes, elle n’hésite pas à poursuivre les délinquants, mais elle veille à conserver les forêts, supports des usages, justement pour que les plus démunis puissent continuer à y trouver le bois de chauffage, les produits indispensables à l’économie domestique.