UNE JUSTICE DE PROXIMITÉ EN ALGÉRIE AU XIXe SIÈCLE
LES COMMISSIONS DISCIPLINAIRES
(1858 – 1900)
ARTICLE
La France était mal préparée à la colonisation de l’Algérie et cela se ressentait notamment dans le domaine de la justice. Dans les territoires qui n’étaient pas soumis à l’autorité civile, le ministre responsable de l’Algérie et les autorités militaires exerçaient un pouvoir de répression directe et extrajudiciaire sur les indigènes. Cette justice exceptionnelle fonctionnait à côté des conseils de guerre, alors que rien n’était nettement défini dans ce domaine, soit par décrets, soit par arrêtés ministériels. Seule une absolue nécessité justifiait une telle situation.
Au milieu du XIXe siècle, le pouvoir politique souhaitait supprimer les peines arbitraires, respecter les mœurs, les idées du peuple arabe et tenir compte de la grande étendue des territoires. Le moment semblait venu d’assimiler le peuple vaincu, d’apprendre aux Arabes les idées d’humanité et d’équité. Désormais, l’indigène relèvera pour les crimes et délits de la justice française et bénéficiera des mêmes lois, tribunaux, garanties que les citoyens français. Mais, les impératifs du terrain ne pouvant être évacués d’un trait de plume, il fallut instaurer une double juridiction : en territoire civil, les Arabes seront justiciables des tribunaux civils, et des conseils de guerre en territoire militaire. Ainsi, bien que l’état de guerre ait cessé, il ne semblait pas encore opportun d’appliquer complètement le droit commun à la société arabe. Les intérêts de la France et la sécurité de sa domination ne permettaient pas de renoncer complètement aux mesures de sûreté générale appliquées jusqu’à ce jour.
Ce principe étant posé, les autorités françaises devaient encore tenir compte du fait que toute une classe de la population échappait à la justice puisque les six conseils de guerre étaient insuffisants pour juger l’ensemble des crimes et délits commis au sein d’une population de deux millions d’individus, répandus sur les immenses territoires militaires. Les distances, les difficultés de communications, la répugnance des Arabes à déposer contre un coreligionnaire, les frais considérables de procédure, étaient autant d’obstacles qui, bien souvent, empêchaient les parquets militaires d’agir. C’est pourquoi, en territoire militaire, par arrêté du 21 septembre 1858, des commissions disciplinaires sont mises en place. Elles ne concernent que les indigènes et ont un double objectif : réprimer les crimes et délits qui ne peuvent être déférés aux conseils de guerre, faire disparaître l’arbitraire, en donnant des garanties à l’accusé, en imposant la présence de plusieurs juges.
Si les commissions disciplinaires marquent la fin du pouvoir extraordinaire des commandants militaires, elles marquent aussi la fin de l’impunité des crimes et délits commis au cœur des tribus ou des douars, dans les régions à peine colonisées. Cette innovation devait se heurter, non pas à une franche hostilité des militaires, mais à une réticence certaine. Néanmoins, après quelques mises au point, les commissions disciplinaires fonctionneront conformément à la volonté du pouvoir politique. Le temps bien sûr jouait en faveur d’une telle évolution et les autorités avaient pris la précaution d’imposer des règles de fonctionnement, avaient réfléchi à la composition des commissions et mis en place des mesures de contrôle qui permettraient d’assurer une certaine uniformité de la justice.
Le fait que les commissions existent toujours à la fin XIXe siècle conduit à penser que généralement elles ont fonctionné sans heurts et donné satisfaction. Dans le cas contraire, on trouverait dans les archives des dossiers relatifs à des réclamations, des plaintes, des correspondances qui prouveraient que les espoirs fondés sur ces commissions étaient insuffisamment fondés. D’ailleurs, au moment de l’élaboration du Code de l’indigénat, les auteurs du projet de loi souhaitaient, pour respecter le principe d’unité de juridiction, mettre en place un réseau de tribunaux se substituant aux commissions disciplinaires, or, il apparût très vite qu’il était impossible de couvrir tout le territoire. Les commissions disciplinaires constituaient donc la seule solution.
Il ne faut cependant pas conclure que cette justice était parée de tous les mérites. En effet, l’instauration des commissions disciplinaires constituait une atteinte au principe d’égalité de tous devant la loi, les indigènes étant soumis à une justice particulière. C’était aussi l’introduction de la personnalité des lois en matière pénale, l’absence d’instance d’appel et, jusqu’en 1874, le silence des procès-verbaux sur les moyens de défense.
Critiques qui doivent être tempérées. La répression des faits était bien définie par la loi française, il n’y avait pas de réglementation spéciale pour les indigènes. Ce système permettait de rendre la justice dans des lieux où il n’existait pas de tribunaux (indépendamment des tribunaux placés sous l’autorité des chefs arabes). Il faut encore noter que chaque fois que cela était possible, les indigènes vivant dans la zone de colonisation, dans les douars-communes étaient soumis à la juridiction civile. Cela démontre que les commissions disciplinaires étaient bien un système transitoire, chaque fois que la situation le permettait les indigènes étaient soumis au régime normal. Enfin, en ce qui concerne l’absence d’appel, les décisions rendues par les commissions disciplinaires devaient bien être rangées parmi les instruments administratifs, mais les dossiers montrent à l’évidence le contrôle exercé par le général commandant la subdivision, le commandant la division, le gouverneur et le ministre dans les cas les plus graves ou les plus complexes. Chaque acteur exerçait un contrôle effectif, les dossiers sont là pour prouver leur intérêt constant, assurant une homogénéité certaine à l’ensemble des sanctions prises à l’encontre des populations autochtones. Ces derniers devaient avoir le sentiment d’être mieux protégés qu’avec l’ancien système, ne plus être en but aux manœuvres des chefs indigènes, ne plus être victimes de discriminations, ne plus être à la merci des chefs militaires, de l’arbitraire quelle que soit son origine.
ARCHIVES
Archives Nationales d’Outre-mer à Aix-en-Provence, (référence non rappelée ci-après, tous les documents provenant de la même source),
66 MIOM/1 – 1J/1 – Division d’Oran – Correspondance avec le ministre de l’Algérie – 1858-1859 – Ministre de l’Algérie et des colonies – Cabinet du Prince – Affaires militaires et maritimes – Paris, le 21 septembre 1858.
66 MIOM – 47 – 1re bobine – Armée d’Afrique – Division d’Oran – Affaires arabes – Tlemcen, le 5 octobre 1858, lettre du général de brigade commandant la subdivision au général commandant la province d’Oran.
66 MIOM/1 – 1J/1 – Ministre de l’Algérie et des colonies – Cabinet du Prince – Affaires militaires et maritimes – Paris, le 21 octobre 1858, lettre du Prince chargé du ministère de l’Algérie et des colonies au général commandant la province d’Oran.
66 MIOM/1 – 1J/1 – Division d’Oran – Correspondance avec le ministre de l’Algérie 1858-1859 – Ministre de l’Algérie et des colonies – Service du 1er aide de camp du Prince – Affaires militaires et maritimes – Paris, le 8 novembre 1858, lettre au général commandant la division d’Oran.
66 MIOM/2 – 1re bobine – Division d’Oran – Correspondance avec le gouverneur général de l’Algérie (ci-après GGA) – Police générale – Armée d’Algérie – État-major général – Section politique – Alger, le 14 octobre 1859, lettre du général commandant supérieur au général commandant la division d’Oran.
66 MIOM/2 – 2e bobine – Division d’Oran – Police générale – Algérie – Direction divisionnaire des affaires arabes – Aïn Guetifa, le 5 mai 1864, lettre du général commandant la division au général chargé de l’expédition des affaires de la division. GGA – Bureau politique – Alger, le 5 août 1864, lettre du GGA au général commandant la division d’Oran. Suspension de l’action des commissions disciplinaires dans le cercle d’Ammi-Moussa et l’annexe de Zamora.
66 MIOM/2 – 2e bobine – Division d’Oran – Correspondance avec le GGA – Police générale – Bureau politique – Alger, le 3 mars 1865, lettre du GGA au général commandant la province d’Oran.
66 MIOM/2 – 3e bobine – Division d’Oran – Correspondance avec le GGA – Police générale – Bureau politique – Alger, le 15 août 1870, lettre du GGA au général commandant la province de Constantine.
66 MIOM/1 – 1 J 1 – division d’Oran – Correspondance avec le ministre de l’Algérie 1858-1859 – Ministre de l’Algérie et des colonies – Direction des affaires militaires et maritimes – 1er bureau – Paris, le 6 juillet 1859, lettre au général commandant la division d’Oran.
66 MIOM/2 – 2e bobine – Division d’Oran – Correspondance avec le GGA – Police générale – GGA – Bureau politique – Alger, le 14 janvier 1863, lettre au général commandant la division d’Oran.
66 MIOM/47 – 1re bobine – Armée d’Afrique – Subdivision de Tlemcen – Tlemcen, le 5 décembre 1849, lettre du général commandant la subdivision de Tlemcen au général commandant la province d’Oran.
66 MIOM/1 – 1 J 1 – Division d’Oran – Correspondance avec le ministre de l’Algérie 1858-1859 – Ministre de l’Algérie et des colonies – Service du 1er aide de camp du Prince – Affaires militaires et maritimes – Paris, le 25 novembre 1858, lettre au général commandant la division d’Oran.
66 MIOM/2 – 2e bobine – Division d’Oran – Correspondance avec le GGA – Police générale – GGA – Bureau politique – Alger, le 10 février 1862, lettre au général commandant la division d’Oran.
ALG – GGA – 1 F 2 – Législation et correspondance relatives à différents projets – 1835 – 1871 – Sous-liasse Projets de loi soumis à la commission de législation – 1871 – Justice criminelle.
ALG – GGA – 1 F 2 – Législation et correspondance relatives à différents projets – 1835 – 1871.
ALG – GGA – 10 K 16 – Division de Constantine – Subdivision de Batna – Correspondance avec la division de Constantine – 1872 – Département de Constantine – Territoires militaires – État-major de la division – Section des Affaires indigènes – Constantine, le 30 mai 1872, lettre du général chargé de l’expédition des affaires au général commandant la subdivision de Batna.
ALG – GGA – 6 K 20 – Liasse justice – Sous-liasse Commissions disciplinaires 1882-1894 -19e corps d’armée – Division de Constantine – Affaires indigènes – Constantine, le 20 octobre 1893, lettre du général de la Roque commandant la division de Constantine au commandant supérieur du cercle de Tébessa.
ALG – GGA – 1 K 2 – Correspondance avec le ministre de l’Algérie – 1858 – 1860 – Sous-liasse 1858 – Ministère de l’Algérie et des colonies, cabinet du Prince – Arrêté du 21 septembre 1858. ALG – GGA * – 1 F 6 – Pièce 591 – BO de l’Algérie et des colonies n° 67 – Arrêté ministériel du 5 avril 1860 portant institution d’une commission disciplinaire à Alger près du commandant supérieur, et dans chaque chef-lieu de subdivision et de cercle.
ALG – GGA – 10 K 9 – Province de Constantine – Direction provinciale – Affaires arabes – Parquet du procureur général, Alger, le 16 septembre 1865.
ALG – GGA – 1 K 2 – Correspondance avec le ministre de l’Algérie – 1858 – 1860 – Sous-liasse 1858 – Ministère de l’Algérie et des colonies, cabinet du Prince – Arrêté du 21 septembre 1858.
ALG – GGA * – 1 F 6 – Pièce 591 – BO de l’Algérie et des colonies n° 67.
ALG – GGA – 1 K 2 – Correspondance avec le ministre de l’Algérie – 1858 – 1860 – Sous-liasse 1858 – Ministère de l’Algérie et des colonies, cabinet du Prince – arrêté du 21 septembre 1858.
ALG – GGA * – 1 F 6 – Pièce 591 – BO de l’Algérie et des colonies n° 67.
ALG – GGA – 10 K 6 – Division de Constantine – Subdivision de Batna – Correspondance avec la division de Constantine – 1862 – Division de Constantine – Direction des Affaires arabes – Constantine, le 19 avril 1862, lettre du général commandant la division au colonel commandant la subdivision de Batna.
ALG – GGA – 6 K 20 – Liasse justice – Sous-liasse Commissions disciplinaires 1882-1894 – 19e corps d’armée – Division de Constantine – Affaires indigènes – Constantine, le 4 septembre 1892, lettre du général O’Neill commandant la division de Constantine au commandant supérieur du cercle de Tébessa.
ALG – GGA – 1 K 2 – Correspondance avec le ministre de l’Algérie – 1858 – 1860 – Sous-liasse 1858 – Ministère de l’Algérie et des colonies, cabinet du Prince – Arrêté du 21 septembre 1858.
ALG – GGA * – 1 F 6 – Pièce 591 – BO de l’Algérie et des colonies n° 67.
ALG – GGA – 1 K 2 – Correspondance avec le ministre de l’Algérie – 1858 – 1860 – Sous-liasse 1858 – Ministère de l’Algérie et des colonies, cabinet du Prince – Arrêté du 21 septembre 1858.
ALG – GGA – 10 K 13 – Division de Constantine – Subdivision de Batna – Correspondance avec la division de Constantine – 1869 – Province de Constantine – Direction provinciale des affaires arabes – Constantine, le 27 avril 1869, lettre du général de division commandant la province au général commandant la subdivision de Batna.
ALG – GGA * – 1 F 6 – Pièce 591 – BO de l’Algérie et des colonies n° 67.
ALG – GGA – 10 K 6 – Division de Constantine – Subdivision de Batna – Correspondance avec la division de Constantine – 1862 – Division de Constantine – Direction des Affaires arabes – Constantine, le 15 mars 1862, lettre du général commandant la division au colonel commandant la subdivision de Batna.
ALG – GGA – 1 K 2 – Correspondance avec le ministre de l’Algérie – 1858 – 1860 – Sous-liasse 1858 – Ministère de l’Algérie et des colonies, cabinet du Prince – Arrêté du 21 septembre 1858.
ALG – GGA – 10 K 8 – Division de Constantine – Subdivision de Batna – Correspondance avec la division de Constantine – 1864 – Division de Constantine – Direction des affaires arabes – Constantine, le 17 novembre 1864, lettre du général commandant la division au colonel commandant la subdivision de Batna.
ALG – GGA – 10 K 13 – Division de Constantine – Subdivision de Batna – Correspondance avec la division de Constantine – 1869 – Province de Constantine – Direction provinciale des affaires arabes – Constantine, le 14 août 1869, lettre du général de division commandant la province au général commandant la subdivision de Batna.
ALG – GGA – 6 K 20 – Liasse justice – Sous-liasse Commissions disciplinaires 1882-1894 -19e corps d’armée – Division de Constantine – Affaires indigènes – Constantine, le 23 février 1894, lettre du général de la Roque commandant la division de Constantine au commandant supérieur du cercle de Tébessa.
ALG – GGA – 1 K 2 – Correspondance avec le ministre de l’Algérie – 1858 – 1860 – Sous-liasse 1858 – Ministère de l’Algérie et des colonies, cabinet du Prince – Arrêté du 21 septembre 1858.
ALG – GGA * – 1 F 6 – Pièce 591 – BO de l’Algérie et des colonies n° 67.
ALG – GGA – 1 K 2 – Correspondance avec le ministre de l’Algérie – 1858 – 1860 – Sous-liasse 1858 – Ministère de l’Algérie et des colonies, cabinet du Prince – Arrêté du 21 septembre 1858.
ALG – GGA – 10 K 18 – division de Constantine – subdivision de Batna – correspondance avec la division de Constantine – 1874 – division de Constantine – Section des affaires indigènes – Constantine le 31 mars 1874, lettre du général commandant la division à général commandant la subdivision de Batna.
ALG – GGA – 1 K 2 – Correspondance avec le Ministre de l’Algérie – 1858 – 1860 – Sous-liasse 1858 – Ministre de l’Algérie et des colonies – Service du 1er aide de camp du Prince – Affaires militaires et maritimes – Paris, le 24 novembre 1858, lettre du Prince chargé du ministère de l’Algérie au général commandant la division de Constantine.
ALG – GGA – 30 K 33 – Division de Constantine – Subdivision de Bône – Correspondance avec la division de Constantine – 1884 – 19e corps d’armée – Division de Constantine – Affaires indigènes – Constantine le 9 mai 1884, lettre du général commandant la division de Constantine au général commandant la subdivision de Bône.
ALG – GGA – 10 K 4 – Division de Constantine – Subdivision de Batna – Correspondance avec la division de Constantine – 1860 – Division de Constantine – Direction des affaires arabes – Constantine, le 20 mars 1860, lettre du général commandant la division au colonel commandant la subdivision de Batna.
ALG – GGA – 10 K 13 – Province de Constantine – Direction provinciale des affaires arabes – Constantine, le 17 septembre 1869, lettre du général de division commandant la province au colonel commandant la subdivision de Batna.
ALG – GGA – 6 K 20 – Liasse justice – Sous-liasse Commissions disciplinaires 1882-1894 – 19e corps d’armée – Division de Constantine – Affaires indigènes – Constantine, le 18 mars 1892, lettre du général O’Neill commandant la division de Constantine au commandant supérieur de Tébessa.
ALG – GGA – 10 K 18 – Division de Constantine – Section des affaires indigènes – Constantine, le 14 avril 1874, lettre du général commandant la division au général commandant la subdivision de Batna.
ALG – GGA – 6 K 20 – 19e corps d’armée – Division de Constantine – Affaires indigènes – Constantine, le 18 juin 1892, lettre du général O’Neill commandant la division de Constantine au commandant supérieur de Tébessa.
ALG – GGA – 10 K 9 – Province de Constantine – Direction provinciale – Affaires arabes – Constantine, le 26 mars 1865, lettre du général commandant la province au colonel commandant la subdivision de Batna.